(Onze
heures trente et une minutes)
La Présidente (Mme
Dionne) : Alors, bonjour à tous. Ayant constaté le quorum, je déclare
la séance de la commission spéciale... et
des impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement
des jeunes ouverte.
Donc, tout d'abord,
je souhaite la bienvenue aux membres, alors, pour cette reprise d'auditions. Et
je vous demande, à toutes les personnes,
aussi, dans la salle qui ont des cellulaires, de vouloir éteindre la sonnerie,
s'il vous plaît.
Donc,
la commission spéciale est réunie afin de poursuivre les consultations
particulières et auditions publiques sur les impacts des écrans et des
réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes.
Mme la secrétaire, y
a-t-il des remplacements?
La
Secrétaire : Oui, Mme la Présidente. M. Leduc
(Hochelaga-Maisonneuve) est remplacé par Mme Massé (Sainte-Marie—Saint-Jacques).
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci, Mme la présidente.
Auditions (suite)
Donc, cet avant-midi,
nous entendrons la Fédération des médecins spécialistes du Québec et
l'Association des médecins ophtalmologistes du Québec.
Considérant notre
retard, avons-nous le consentement pour poursuivre les travaux jusqu'à 13 heures?
Consentement. Alors, merci à tous.
Donc,
je souhaite maintenant la bienvenue aux représentants de la Fédération des
médecins spécialistes du Québec, dont nous avons avec nous aujourd'hui le Dr
Vincent Oliva, radiologiste d'intervention et président, Dre Karine Igartua,
psychiatre et administratrice, et ainsi que
Yohann... Dr Yohann St-Pierre, pédiatre et administrateur. Donc, bienvenue
parmi nous.
Donc, je vous
rappelle, vous avez 10 minutes pour nous faire part de votre exposé, vous
présenter, et nous procéderons par la suite à une séance d'échange avec les
membres de la commission. Alors, la parole est à vous.
Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ)
M. Oliva
(Vincent) : Mmes et MM. les parlementaires, Mme la Présidente, je suis,
donc, Dr Vincent Oliva, radiologiste d'intervention au CHUM et président de la
fédération. Je suis accompagné de deux administrateurs élus, Dre Karine
Igartua, qui est au CUSM et qui est psychiatre, et Dr Yohann St-Pierre, à
Rimouski, qui est pédiatre. Et on est ici aujourd'hui non seulement comme
experts en santé, mais aussi comme parents utilisateurs et citoyens engagés,
profondément préoccupés par les impacts croissants des écrans et des réseaux
sociaux sur nos jeunes.
Notre rôle ici est de
porter une voix collective, celle de milliers de professionnels de la santé,
ceux qui, jour après jour, sont à même de constater les effets de ces outils
numériques sur le développement des enfants, sur la santé mentale des
adolescents et même sur le bien-être des adultes. Nous sommes ici non pas pour
diaboliser cette technologie, elle a son rôle et une grande utilité, mais pour
mettre en lumière des enjeux fondamentaux. Il est de notre devoir de proposer
des pistes d'action concrètes, car nous avons tous un rôle à jouer dans cette
transformation numérique.
Nos démarches
préparatoires pour vous livrer cette réflexion ont été de consulter nos
associations affiliées et puiser dans notre expertise collective, notamment en
pédiatrie, psychiatrie, ophtalmologie et santé publique. Ces consultations nous
ont permis de cerner des enjeux qui touchent à la fois les familles, les
écoles, le système de santé et, bien sûr, nos politiques publiques.
La question posée est
vaste, complexe, mais incontournable. Quels sont les impacts des écrans et des
réseaux sociaux sur les jeunes? La science nous donne des pistes. Elle montre
une corrélation claire entre une utilisation excessive et des impacts
négatifs : troubles cognitifs, retards de langage, perturbation du
sommeil, troubles mentaux. Ce que nous savons avec certitude, c'est qu'un usage
non encadré, inadapté à l'âge ou au développement, amplifie certains risques.
La solution n'est pas de bannir ces outils, mais de leur donner un cadre clair.
La question de
responsabilité collective doit être abordée. Nous devons regarder cette
problématique dans sa globalité. Il ne
s'agit pas de pointer du doigt un seul acteur. Les parents, bien sûr, sont la
pierre angulaire et l'encadrement des jeunes, mais ils ne peuvent pas
porter seuls ce poids immense. Les plateformes numériques, l'État, le milieu
scolaire, les professionnels de la santé et de la société civile ont tous un
rôle à jouer. Ce n'est qu'en unissant nos efforts que nous pourrons proposer
des solutions adaptées aux nombreux enjeux complexes.
Une
question importante : Qu'en dit la science? Posons d'emblée, d'entrée de
jeu, qu'il y a des limites scientifiques. Bien que les données soient
préoccupantes, la littérature reste partielle et nécessite des recherches plus
approfondies. Il y a cependant quelques certitudes en
lien avec les écrans, des impacts sur la santé et le développement. Une utilisation excessive perturbe le développement
cognitif, socioaffectif et physique des jeunes. Pour les jeunes enfants, les
moins de cinq ans sont particulièrement vulnérables. Pour les moins de deux
ans, les écrans doivent être quasiment absents. Sur la santé physique,
la sédentarité favorisée par les écrans augmente les risques de maladies
chroniques et d'obésité. Un lien est bien établi autant avec la santé mentale
qu'avec les troubles du sommeil.
Parlons du rôle des
parents. Ils ont un rôle central, mais ils ont besoin d'outils et de soutien.
Voici quelques bonnes pratiques essentielles : être des modèles dans leur
propre utilisation des écrans, limiter les écrans avant le sommeil pour tous et pour eux-mêmes également,
proscrire l'écran chez les tout-petits, encourager l'activité physique
et les interactions sociales, éviter les écrans lors des repas et des moments
familiaux, éduquer les jeunes sur les risques des réseaux sociaux, notamment
pour leur santé mentale, privilégier des contenus adaptés et réduire les
rythmes visuels trop rapides, éduquer les jeunes sur les mécanismes de
monétisation, réduire les microtransactions et protéger les mineurs des
pratiques abusives.
Parlons
maintenant du rôle de l'État. Il doit jouer un rôle de leader pour encadrer et
accompagner cette transition.
Encadrer
l'usage en milieu scolaire : nous proposons d'interdire l'utilisation des
cellulaires à l'école et limiter les écrans à des fins pédagogiques
uniquement.
Favoriser les
activités saines : aménager des lieux scolaires pour favoriser la pratique
d'activités sportives, sociales, intellectuelles, par exemple, notamment, des
lieux sans connexion wifi.
Fixer une majorité
numérique : avant 14 ans, interdire l'inscription à un compte sur des
réseaux sociaux, de 14 à 16 ans, autoriser l'inscription uniquement avec
le consentement et la supervision des parents, et déterminer la majorité
numérique à 16 ans, où les utilisateurs peuvent gérer leurs comptes de
manière autonome.
Éduquer
dès le plus jeune âge : introduire des ateliers de citoyenneté numérique
dans les écoles pour sensibiliser les jeunes aux risques et aux bonnes
pratiques en ligne.
Moderniser les
services : former et se doter de professionnels de la santé aptes à
reconnaître et traiter les troubles liés aux écrans, et investir dans des
centres spécialisés en cyberdépendance.
Il faut aborder le
rôle et la responsabilité des grandes plateformes. Elles ne peuvent rester en
marge de cette réflexion. Elles doivent être
interpelées et accepter de collaborer à ce chantier collectif qui dépasse les
frontières géographiques.
Bloquer
les contenus inappropriés : les contenus sexuels, violents ou haineux
doivent être strictement encadrés pour protéger les jeunes.
Limiter la
désinformation : renforcer la modération et les contrôles et mettre en
place des contrôles fiables pour vérifier l'âge de façon robuste qui sont
difficiles à contourner.
En conclusion,
mesdames et messieurs, protéger nos jeunes face aux impacts des écrans et des
réseaux sociaux n'est pas une tâche facultative, c'est une responsabilité
collective. Nous sommes à un carrefour où la technologie, tout en étant un
outil formidable de développement, peut se révéler un piège dangereux, selon
les choix que nous faisons. Agissons
ensemble, en tant que parents, décideurs, éducateurs et citoyens, pour offrir à
la génération montante les moyens de grandir dans un environnement
numérique sain, sécuritaire et adapté à leurs besoins. Merci de votre
attention.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci
infiniment pour cette présentation. Donc, nous allons débuter la période
d'échange pour une durée d'environ 30 minutes. Alors, je vous rappelle que
le temps de parole sera à la discrétion de la
présidence. Donc, je ferai comme j'ai fait cet automne, et on y va selon les
gens qui ont envie de poser des questions. Donc, M. le député de
Matane-Matapédia, vous avez...
M. Bérubé :
Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bienvenue à l'Assemblée nationale.
Souvent, on évoque la question de la majorité numérique, mais vous amenez le
concept qu'il devrait y avoir un âge minimal également. Vous parlez de deux
ans. C'est bien ça?
M. Oliva
(Vincent) : Bien, c'est-à-dire que ce n'est pas... On met en garde
contre l'utilisation des tout-petits et on pense qu'ils devraient être, à
toutes fins pratiques, exclus, si possible.
• (11 h 40) •
M. Bérubé :
C'est la lumière vive, c'est la rapidité des images, il y a toutes sortes
de contre-indications?
M. Oliva
(Vincent) : Oui, effectivement. Puis, bon, je pense que les
ophtalmologistes, nos collègues, vont passer après et pourront peut-être vous
donner des précisions, mais c'est quand même intéressant de savoir quels effets
les écrans ont. Peut-être qu'on profiterait de la présence de Dre Igartua.
Karine, pourrais-tu expliquer un peu la rapidité des images, qu'est-ce que ça
fait sur le cerveau? Je pense que c'est intéressant.
M. Bérubé :
Et la capacité des enfants de les assimiler aussi.
Mme Igartua
(Karine) : Oui, bien, en fait, il y a plusieurs enjeux, là, chez les
enfants, puis peut-être que Yohann voudra
rajouter après, étant donné que c'est le pédiatre chez nous, là, mais, dans le
développement du cerveau, il y a plusieurs choses qui arrivent quand on
met un jeune devant un écran. D'abord, on n'est pas en train de lui parler.
Donc, le jeune n'est pas en train d'apprendre les réactions faciales. Il n'est
pas en interaction. Donc, au niveau...
Une voix :
...
Mme Igartua (Karine) : Donc, au
niveau...
Une voix : ...neurodéveloppemental.
Mme Igartua (Karine) : Donc,
oui, au niveau neurodéveloppemental, au niveau des relations sociales, il y a
un enjeu. Au niveau du développement du langage, il y a aussi un enjeu parce
que le langage, oui, il y a le verbal, mais le non-verbal aide beaucoup aussi
les enfants dans le développement du langage. Donc, il y a des enjeux là.
Il y a aussi un enjeu de surstimulation. Si vous
regardez les émissions pour enfants que vous regardiez à votre âge versus ce qui se joue maintenant, le
rythme, le tempo est très rapide. Donc, on habitue les jeunes à une espèce de
rapidité puis de tempo, ce qui fait qu'on ne les habitue pas à porter
attention, à pouvoir ralentir. Et, en fait, il y a des études
superintéressantes qui montrent qu'après même juste neuf minutes de télé
stimulante comme ça les capacités cognitives de l'enfant sont réduites. Donc,
quand on surstimule le cerveau comme ça, surtout avant... Puis là on parle d'enfants,
là, mais il faut savoir que le cerveau se développe jusqu'à 25 ans.
Donc, quand le cerveau est en développement,
c'est sûr qu'il va se développer en réaction à l'environnement dans lequel il
se développe. Donc, si on le développe dans un environnement de surstimulation
tout le temps, l'enfant ne développe pas la capacité attentionnelle que ça
prend, ne développe pas la capacité langagière. Les fonctions exécutives sont altérées. Donc, ça, c'est juste au
niveau neurodéveloppemental. On pourra parler de santé mentale après,
là, mais, juste pour répondre directement à votre question, là, c'est ça,
l'enjeu.
M. Bérubé : ...au début, on parlait
de l'interdiction en classe, voire dans les écoles, parce que c'était une
distraction, parce que ce n'était pas nécessairement des contenus qui étaient
appropriés. Et, rapidement, on a réalisé que
c'est un enjeu de santé publique, en fait, qui va bien au-delà de l'école. Avec
mes collègues, on s'est posé beaucoup de
questions — on
a fait une invitation, les prochains après vous, c'est des ophtalmologistes — beaucoup
sur les yeux. Quel est l'impact sur les yeux, sur la posture aussi,
alors, évidemment, d'avoir un téléphone, d'être prostré un peu d'une certaine
façon? Est-ce qu'on va être capables de mesurer des cohortes, les premières qui
n'ont vécu qu'avec des réseaux sociaux, et voir des différences importantes sur
leur santé générale?
M. Oliva (Vincent) : Oui, c'est ça,
c'est une question intéressante, puis je pense que ça touche à la pratique
quotidienne de mon collègue Yohann, qui est pédiatre et qui voit justement
l'évolution, en fonction des générations, de
l'effet des écrans, puis c'est devenu un enjeu occupationnel. Donc, peut-être,
Yohann, tu pourrais peut-être donner quelques anecdotes, expliquer...
M.
St-Pierre (Yohann) : Donc, je suis pédiatre à Rimouski et, pour une
fois, je suis content d'avoir beaucoup de gens de l'Est du Québec qui sont avec
moi autour de la table. Donc, merci beaucoup, je me sens bien entouré.
Donc, oui, j'ai une pratique hospitalière à
Rimouski. Je suis à la clinique externe à Rimouski, mais aussi à Matane et à Amqui, et mon quotidien, dans mes
patients suivis à l'externe, c'est 50 % de mon temps que c'est des
patients qui sont soit en retard de développement... comme pédiatre
répondant à Agir tôt, soit que je fais des évaluations de troubles scolaires...
ou, encore, il y a une augmentation importante des troubles de comportement
aussi dans la petite enfance, mais également, aussi, durant l'enfance scolaire,
et les adolescents ont leur part du lot aussi.
Donc, depuis
2012, moi, que je suis à Rimouski, grâce à plusieurs personnes autour de moi,
et mon métier a changé. Mon métier a même changé avant la pandémie, mais ça
s'est accentué également après la pandémie, dans le sens où mon
quotidien est... représente, en fait, avec ces patients-là, ces familles qui
sont rencontrées... je dois sensibiliser, hein, les patients et leurs familles,
et je dois aussi les outiller.
Donc, comme médecin, là, je me sens parfois seul
dans mon bureau face aux problématiques, parce qu'eux les problématiques qu'ils
viennent pour me voir, c'est soit le trouble d'apprentissage, le trouble
scolaire, le trouble de comportement. Mais,
dans mes questions dans les habitudes de vie, donc, les écrans font partie...
comme se nourrir, bien dormir et
bouger aussi, et les écrans, je pense que c'est le sujet le plus difficile à
aborder pour... avec les patients, les familles, et c'est là où est-ce
qu'on frappe souvent notre mur en intervention, parce que la plupart ne sont
pas encore sensibilisés à cette
problématique-là qui, parfois, cause, ou engendre, ou continue le cercle
vicieux, finalement, des problématiques pour lesquelles ils viennent
nous voir. C'est impressionnant, c'est un...
Donc, je suis
très content de la commission, des travaux qui sont faits, parce que le statu
quo ne peut pas durer. On parlait
justement qu'on est en mesure de santé préventive populationnelle, et il faut
agir parce qu'il est probablement minuit et une.
M. Bérubé : Merci, docteur.
La
Présidente (Mme Dionne) : Merci, M. le député. Je passe maintenant la parole
à Mme la députée de Hull.
Mme Tremblay : Bonjour. Donc, merci
de votre présence avec nous. Dans votre... Dans le mémoire que vous avez déposé, vous parlez, bon, que ça ouvre
la porte au développement des troubles d'apprentissage. Notamment, là,
vous nommez la dyslexie puis la dysorthographie. Dans les écoles, les
enseignants, là, du préscolaire avec qui moi, j'ai
eu l'occasion de partager, là, souvent, parce que je suis enseignante dans...
j'ai été enseignante pendant longtemps, tu sais, ils
voient de plus en plus les enfants, en très jeune âge, avec des difficultés de
comportement importantes puis difficultés
de langage. C'est beaucoup plus marqué que ce ne l'était, là, voilà
20 ans. Puis là vous nommez deux troubles, là, auxquels on fait face. Est-ce que... Ce que vous amenez aujourd'hui,
est-ce que ça veut dire que, n'eût été de l'utilisation... probablement, chez certains enfants, il n'y aurait pas eu de dyslexie, il n'y aurait
peut-être pas eu de dysorthographie, s'ils n'avaient pas utilisé les
écrans, ou ça a amplifié le problème?
M. St-Pierre (Yohann) : Bien, je
pense que les études sont préliminaires, mais il y a une forte tendance à croire que les retards de développement, qui
peuvent engendrer, par la suite, des troubles scolaires, donc, des troubles
d'apprentissage, auraient pu être prévenus
ou encore diminués en portée. Il reste toujours qu'il y a une prédisposition,
aussi, génétique pour la dyslexie,
dysorthographie, ou la dyscalculie, ou encore le TDAH, qu'on sait que c'est
environ 15 % de la population qui a cette problématique-là, mais
probablement que leurs symptômes, hein, si on parle de symptômes, ils sont augmentés par le fait de l'exposition aux écrans au
préalable ou même pendant l'âge scolaire aussi, dans l'apprentissage.
Je reprends le thème d'émissions à rythme lent
ou rapide. Il n'y a aucune éducatrice en CPE ou il n'y a aucun professeur
devant la classe qui est capable de rivaliser, d'être aussi vite que
Pat'Patrouille. C'est impossible d'être aussi réactif que Pat'Patrouille. Donc,
l'attention joue pour beaucoup, la patience aussi, développer la patience, les
interactions sociales. Donc, les retards de langage, les troubles de langage
sont fortement influencés par l'exposition des écrans puis par un manque de
stimulation, de socialisation avec les autres.
Mme Tremblay : Vous
parlez, dans une... J'aurais peut-être... Donc, vous parlez, dans une des
recommandations, des signes précoces d'utilisation excessive des écrans,
puis là c'est là que vous... il faut former les soignants, les intervenants, tu
sais, une meilleure formation, mais quels sont les signes, là, précoces
d'utilisation excessive?
M.
St-Pierre (Yohann) : Je dirais, particulièrement ce que je vois, c'est
vraiment les troubles de comportement, donc, troubles du sommeil
également. Je n'en ai pas parlé tout à l'heure, mais, à tous les jours, on
parle de troubles du sommeil. Le trouble de sommeil peut se diviser par la
phase d'endormissement, donc, une difficulté à s'endormir, mais ça peut être
aussi une difficulté d'insomnie durant la nuit si l'utilisation est faite
durant la nuit, et ça peut devenir aussi des enjeux de somnolence diurne,
aussi, qui nuit à l'apprentissage aussi dans le jour.
Donc, les signes précoces dans la petite
enfance, c'est souvent dans des retards qui vont se manifester, des retards modérés
ou même sévères, par manque de stimulation et par troubles de comportement
principalement, aussi. Et la plupart des familles arrivent dans mon bureau, et,
malgré les enjeux, puis ce n'est pas le sujet aujourd'hui, d'accès en santé...
il reste que, pour les familles, souvent, la seule personne qu'ils ont accès
dans le système de santé, finalement, c'est moi. Ils n'ont pas accès aux
services de psychoéducation au CLSC. Dans les milieux de vie, dans les écoles,
les ressources ne sont pas suffisantes, et ils n'ont pas nécessairement les
moyens pour aller aussi chercher des intervenants dans le privé. Donc, ils
viennent me voir. Ils sont dépourvus, ils le savent, mais ils ne savent pas
comment... par où commencer.
Et juste la routine du sommeil a complètement
changé aussi. En début d'année scolaire, au retour des fêtes, j'en ai pour quelques semaines à refaire mon... le
même discours avec plusieurs familles, de toutes classes économiques. En
passant, le problème touche toutes les classes économiques.
• (11 h 50) •
M. Oliva (Vincent) : Je pense que
c'est important aussi de mentionner que ça ne touche pas juste les enfants, les
troubles du sommeil, et que ça touche tout le monde. Quand on regarde nos
écrans dans l'heure avant d'essayer de s'endormir, c'est beaucoup plus
difficile, donc, de là l'éveil collectif et aussi les bonnes habitudes qui
doivent commencer par les parents.
La Présidente (Mme Dionne) : Mme la
députée de Bourassa-Sauvé.
Mme
Cadet : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Dr Oliva, Dr
St-Pierre, Dre Igartua. Merci beaucoup d'être avec nous aujourd'hui.
Manifestement,
donc, comme parlementaires, nous sommes tous préoccupés par les questions de
développement en petite enfance. Je ne répéterai pas, donc, les
questions de mes collègues, mais j'ai été, bon, c'est sûr, donc, très, très
surprise, par exemple, de ce que vous disiez, Dre Igartua, sur les neuf minutes
d'écran, là, d'écran, donc, de surstimulation,
que, déjà, on voit des effets, mais aussi... peut-être aussi vous entendre...
parce que, dans votre mémoire, vous dites : «Même en arrière-plan,
un écran ouvert peut influer sur le développement du langage.» Donc, ça, ça
fait partie des études que vous avez complétées?
Mme Igartua (Karine) : Oui,
absolument, il y a beaucoup, beaucoup d'études sur différentes choses, là.
C'est surtout des études corrélationnelles, mais, en petite enfance, c'est là
où les études sont les plus robustes, honnêtement, là, parce qu'on est capables
de suivre... Ils vont regarder l'exposition aux écrans, par exemple, à l'âge de
deux ans et puis ils vont faire une étude prospective à quatre ans, qu'est-ce
que ça donne.
En arrière-plan, il y a plusieurs effets. D'une
part, il y a l'effet d'un bruit ambiant. D'autre part, il y a l'effet visuel
ambiant. Il y a une part qui est importante à dire, c'est la distraction
parentale, et ça, quand on parle que, vraiment, c'est un éveil collectif, quand
ton enfant te parle et que tu as un oeil sur la télé qui est derrière lui, tu
n'es pas en interaction de la même façon que si le bruit ambiant n'est pas là.
Donc, je pense que ça, c'est important.
Les
effets sont très puissants. Tantôt, je parlais de la surstimulation. Une autre
étude sur les adolescents et les jeunes
adultes... Maintenant, huit à neuf minutes de vidéo, genre Instagram, TikTok,
sur une alimentation désordonnée, là, restrictive, là, genre à
l'anorexie, et mêlée à des petits vidéos sur, tu sais, comment me muscler,
comment être plus beau, versus un huit minutes de vidéos de chatons, de chiens,
de cuisine, de comment changer l'alternateur dans mon char, on demande aux jeunes adultes puis aux adolescents, au bout de
huit minutes, comment ils se sentent par rapport à leur corps, et, juste
huit minutes de ça, on est capables de détecter une différence, l'image de soi
qui est perturbée. Donc, on commence à avoir beaucoup de liens entre les troubles
alimentaires et les réseaux sociaux.
Le sommeil, on en a
parlé tantôt, il est affecté beaucoup par les réseaux sociaux, la sédentarité
et le manque de face-à-face. Si je passe trois heures sur les réseaux sociaux
ou à jouer des vidéos, je ne suis pas en train d'être en interaction. Et ces
trois facteurs-là, le sommeil, l'exercice et les relations sociales, sont tous
des facteurs protecteurs pour les troubles mentaux. Donc, plus on passe de
temps sur les écrans, moins on passe de temps à faire ces trois choses-là qui
sont bonnes pour nous. Et ce n'est pas pour rien qu'on voit, particulièrement
dans la génération Z, parce c'est une génération qu'on a mal encadrée, là,
c'est la génération de mes enfants...
Et c'est malheureux,
mais ceux qui sont nés entre 1997 et 2010 à peu près, là, ils sont arrivés sur
le marché où l'iPhone est arrivé, en 2007, l'iPad, en 2010, TikTok, 2016,
Instagram, 2010. Donc, c'est tout arrivé au moment où ces jeunes-là entraient dans l'adolescence et c'est toutes des
plateformes qui ont été «designées» pour être intuitives pour les
jeunes. Donc, les jeunes ont appris à s'en servir avant leurs parents, et on a
toute une génération qui s'est servie de ces réseaux sociaux là sans aucune
supervision ou accompagnement parental, et ce n'est pas pour rien qu'on a maintenant des taux de détresse, de
dépression, d'idées suicidaires, de troubles anxieux, de troubles d'alimentation
et de TDAH qui sont tous en augmentation au Québec.
Donc, tu sais, je ne
peux pas faire le lien de... On n'a pas l'étude qui dit : On a
100 enfants qui n'ont pas eu les réseaux, puis 100 qui en ont eu, puis on
les a regardés. Mais, en termes corrélation puis en termes d'années où les
choses se sont empirées, on a quand même des indices que c'est quand même assez
désastreux pour la santé mentale.
Mme Cadet : Et
plus tôt vous disiez, donc, que le cerveau de l'enfant, le cerveau du jeune, en
fait, donc, se développe jusqu'à 25 ans.
Mme Igartua
(Karine) : Oui, exact.
Mme Cadet : Donc,
j'imagine que les recommandations que vous nous faites, notamment en termes,
donc, d'intervention de l'État ou de recommandations de la Santé publique, pour
être émises, ne concernent pas tout simplement de la petite enfance.
Mme Igartua
(Karine) : Non, effectivement, quand on parlait de... On a eu le débat
à l'interne de dire : À quel âge est-ce qu'on suggère la majorité
numérique? Parce que, d'un point de vue strictement scientifique, on pourrait
dire 25 ans parce qu'à ce moment-là les lobes frontaux sont complètement
développés, mais on sait que ce n'est pas réaliste, là. Donc, il a fallu qu'on
dise...
Puis,
si on regarde... Tu sais, les jeunes peuvent conduire à 16 ans. Donc, si
on fait un petit peu le comparatif des risques,
on s'est dit : Une citoyenneté numérique à 16 ans, ça nous
apparaissait raisonnable avec un accompagnement des parents entre 14 et 16, mais aussi avec un cursus de santé mentale
dans les écoles qui inclut la citoyenneté numérique. Ça, ça veut dire quoi? Ça veut dire savoir...
apprendre c'est quoi, les bienfaits et les méfaits des réseaux sociaux,
apprendre aux jeunes comment vérifier
la véracité des informations qu'ils voient, comment être capables d'interpréter
les images, donc, quand tu vois des
images vraiment édulcorées, tu sais, retapées, d'être capable de se dire :
O.K., ce n'est pas la vraie vie que je suis en train de voir, et donc je
n'ai pas besoin de me comparer.
Les études... si je
peux juste rajouter, les études en santé mentale ont été... il y en a qui ont
été très... ont montré des liens très forts, puis d'autres, moins. En fait, ce
qu'on se rend compte, c'est que les jeunes qui sont plus enclins de se
comparer, c'est eux qui ont le plus d'effets néfastes dans les réseaux sociaux,
parce qu'ils se comparent constamment à quelque chose qui n'est pas
atteignable, que ça soit un bonheur inatteignable, des accomplissements, une réussite, un corps. Donc, ils sont toujours en
train de se comparer à quelque chose qui n'est pas atteignable. Je pourrais continuer
pendant des heures, là, mais je vais m'arrêter.
La Présidente (Mme
Dionne) : Le temps file. Je vais passer la parole... Il y a beaucoup
de demandes d'intervention, puis c'est correct. Il nous reste 15 minutes.
Si j'ai du temps, je vous reviendrai, Mme la députée. Donc, Mme la députée
d'Iberville.
Mme
Bogemans : ...parler justement de l'apparence, les muscles, ces routines-là,
mais est-ce que vous feriez le même genre de lien à l'argent? Parce que, tu
sais, des fois il y a des influenceurs qui misent beaucoup... puis regardez les
voyages, le style de vie, puis tout ça. Est-ce que vous mettriez ça dans le
même panier pour les jeunes?
Mme Igartua
(Karine) : Parce qu'encore là on demande... Les jeunes se comparent à
des choses qui sont impossibles, tu sais. Donc, moi, d'entendre des jeunes...
Moi, je suis psychiatre. Je vois beaucoup, beaucoup de... Ma clientèle est surtout du 16 à 36, là, je dirais,
mais je vois beaucoup de jeunes qui disent : Bien, tu sais, pourquoi
est-ce que je ferais telle job si ça ne me donnera jamais le salaire de
x? Tu sais, le concept que je commence en bas de l'échelle puis que je grandis, là, ça ne fait pas partie de leur réalité
parce qu'ils ont un youtubeur qui, lui, fait 3 millions par année à
jouer à des jeux vidéo. Ça fait qu'ils ont comme une idée que tout le monde
peut faire ça.
Donc, oui, il y a ça. Il y
a aussi la chirurgie esthétique aussi où, tu sais, des fois, il y a des
influenceurs qui poussent certaines choses. Puis, quand vous parlez de
l'argent, ça me fait aussi penser aux microtransactions qu'on voit dans
différents jeux qui s'apparentent au gambling. Honnêtement, quand on parle des
«loot box», là, où les jeunes paient 5 $, 10 $, 15 $, 30 $
pour avoir des éléments d'un jeu vidéo, mais... tu sais, ils paient x, mais ils
ne savent pas ce qu'ils vont avoir parce que c'est une boîte à surprise, et,
inévitablement, ils espèrent que, dans la boîte à surprise, il va y avoir
14 épées, trois fusils puis 15 kits pour se changer, puis finalement
ils ont un couteau puis un chapeau, puis ils sont déçus de ce qu'ils ont eu,
mais c'est le concept du renforcement intermittent, imprévisible, qui est connu
en psychologie pour étant la meilleure façon de créer une dépendance, et les
jeux vidéo s'en servent, et les réseaux sociaux s'en servent aussi.
Mme Bogemans : Est-ce que vous voyez
une proportion égale de filles qui consultent, par exemple, pour un usage des
médias sociaux que de garçons qui vont consulter davantage pour les jeux vidéo?
Parce qu'en tout cas, moi, dans les gens que j'ai rencontrés, les jeunes dans
les écoles, c'était marqué de manière impressionnante. Est-ce que c'est un...
M. Oliva (Vincent) : Je vais
demander à Dr St-Pierre parce que c'est vraiment son quotidien à lui.
M. St-Pierre (Yohann) : Je peux
répondre. Effectivement, je n'ai pas... C'est un senti, là, donc je n'ai pas...
je n'ai pas fait un calcul scientifique, mais effectivement j'ai plus tendance,
avec mes patients, à constater qu'il y a quand même une différence de genre,
mais il y a une dépendance ou il y a comme un attrait fort qu'on voit chez les
garçons principalement plus qu'on va... Je vais plus parler avec eux d'enjeux
de jeux vidéo que d'autres dérives, et, oui, chez les filles, des enjeux plus
de réseaux sociaux.
L'image corporelle, par exemple, on le voit chez
les deux sexes. Chez les garçons, il y a un nouveau trouble aussi qui est apparu, qui s'appelle la bigorexie.
Donc, la bigorexie, c'est vraiment... c'est de l'orthorexie. Donc, on mange
à la perfection. On ne mange pas de patates puis on mange très, très équilibré,
mais on calcule nos grammes, et surtout on a un corps musclé parfait. Donc, ça,
c'est le trouble... l'équivalent d'un trouble alimentaire qui s'appelle la
bigorexie, qui est en émergence, aussi, importante.
• (12 heures) •
Mme Bogemans : Parce que... Je
posais cette question-là par rapport à l'âge numérique, parce qu'on parle d'un âge numérique pour les médias sociaux, mais
est-ce qu'on devrait mettre aussi cette limite-là pour certains jeux en
ligne, pour les... en ligne ou sur les consoles, là, peu importe, là, pour les
jeunes?
M. St-Pierre (Yohann) : Bien, c'est
clair que je pense que ça prend un cadre. Ça prend leur cadre... un encadrement des parents par rapport aux écrans.
Donc, comme on disait tout à l'heure, en bas de deux ans, théoriquement, on devrait... on recommande de ne pas avoir
d'exposition aux écrans. Entre deux ans et cinq ans, c'est une heure qui est recommandée,
depuis 2019, par la Société canadienne de pédiatrie. Et, chez les adolescents,
ce serait deux heures, mais, probablement, dans ce que vous avez... les
jeunes que vous avez rencontrés, c'est cinq, six heures.
Je suis papa
de trois garçons. C'est paradoxal parce qu'on a... on est devenus une société
aussi hyperprotectrice des enfants, dans l'anxiété de laisser notre
enfant jouer seul dans la cour, mais on ne voit plus de jeunes jouer dans la
ruelle, on ne peut plus jouer au bord d'un feu, etc., donc, mais, pour moi,
comme pédiatre, comme papa, j'ai plus de facilité et, en fait, j'ai un grand
plaisir à voir mes garçons grimper dans les arbres chez moi que plutôt jouer
avec ça. Pour moi, ça, c'est très risqué, mais grimper dans un arbre, c'est un
jeu risqué, calculé et c'est ce qui est bénéfique. Donc, la société veut bien faire et être très, très protectrice de ses
enfants, mais ils ne savent pas, finalement, que combler ce temps-là
d'inactivité par les écrans, au final, va être pire.
Mme Bogemans : C'est fascinant. Je
pense que ça devrait être entendu à grande échelle, ce que vous venez de dire. Puis, en terminant, au niveau
pédagogique, vous avez dit : Une bonne sélection de ce qui est pédagogique
comme usage, là, ou comme matériel dans les écoles. Comment vous le
détermineriez, ce qui est pédagogique, selon la santé publique? Parce que, par exemple, Duolingo, là, il y a quand même, à
l'intérieur, certains systèmes qui sont problématiques. Je voulais vous
entendre là-dessus.
M. Oliva
(Vincent) : Bien, disons que je peux... C'est sûr que c'est...
ce qui est mis en ligne comme contenu, ce qui est accessible, je pense, c'est
illusoire de penser que les producteurs de contenu vont s'autocensurer, là. C'est
pour ça que l'encadrement est tellement important. Puis la majorité numérique,
c'est sûr que, bon, oui, le cerveau se développe jusqu'à 25 ans, mais il
faut vivre avec son temps, puis les écrans ont quand même une utilité.
Donc, la raison pour laquelle on a dit... on
recommande 14 ans avec l'accompagnement et le consentement des parents, c'est que c'est un âge où les parents
ont encore un certain ascendant sur les enfants, en général. Si on attend
trop tard, bien, après ça, ils sont lâchés lousses, si on veut, là, puis ce
n'est plus encadrable. Puis, avant 14 ans, on ne dit pas qu'ils n'auront pas accès aux écrans, on dit juste :
S'inscrire sur un compte. Autrement dit, j'ai mon compte, je fais ce que
je veux avec, puis là je suis exposé à toutes sortes de contenu qui est risqué.
Alors, il y a des effets bénéfiques aux écrans,
mais on ne pourra jamais s'assurer qu'il n'y aura pas du contenu néfaste. Et il y a une notion
d'apprentissage. Alors, à quel moment est-ce que les parents vont encore avoir
assez d'impact sur leurs enfants pour leur apprendre à faire ce
discernement-là? C'est pour ça qu'il y a une progression dans ce qu'on propose.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci
beaucoup. Je cède maintenant la parole à Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques.
Mme Massé : Oui. Bonjour, tout le
monde. Merci d'être présents et présentes. Vous avez beaucoup parlé, autant
chez les hommes... les jeunes garçons et les jeunes filles, de l'image de soi,
donc les impacts de se comparer, etc. Est-ce que vous pouvez dire que ça a
aussi un effet sur l'image qu'on se fait de l'autre?
Mme Igartua
(Karine) : Je peux vous donner un exemple. On n'a pas parlé encore de
la pornographie...
Mme Massé :
C'est là que je m'en vais.
Mme Igartua
(Karine) : O.K. Mais je vous donne un exemple clinique. La semaine
dernière, j'ai vu un jeune qui... un jeune moins jeune, un jeune adulte, là,
pour être honnête, qui a une dépendance à la pornographie transféminine
préopératoire, pour être vraiment très précis, là, personne hétérosexuelle,
cisgenre, marié avec une femme, mais a été exposé à la pornographie à partir de
l'âge de 11 ans et, à partir de l'âge de 14 ans, est devenu
complètement dépendant à cette pornographie-là. Donc là, on a quelqu'un qui a une
addiction à la pornographie qui impacte sa
relation avec sa conjointe. Et je me l'explique clairement par le fait que son
cerveau a été modulé par cette exposition en très jeune âge à de la
pornographie.
Mme Massé :
Et je comprends, donc, que vos recommandations 14 et 15 sont dans le
sens où il faut aussi se donner, quand on
parle d'encadrer... se donner une mainmise au niveau des grandes plateformes,
parce que c'est de là que ça part.
Vous dites «inciter». J'ai de la difficulté à saisir comment, si on ne les
oblige pas, que ça va être possible, ne serait-ce que d'avoir, par
exemple, un âge légal. Je ne comprends pas le terme «inciter», plutôt que...
Mme Igartua
(Karine) : En fait, on incite le gouvernement à mettre un âge légal,
parce que nous, on ne peut pas le faire, là.
Mme Massé :
O.K. Et donc on veut inciter les grandes plateformes à les bloquer, ça fait
que ça commence... Nous, on a une job à
faire, mais après ça il faut qu'eux autres... O.K. Parce que, s'ils ne le font
pas, on aura beau faire n'importe quoi...
M. Oliva
(Vincent) : Bien, c'est-à-dire que, par exemple, pour avoir un
compte... Puis, encore une fois, ce n'est pas de regarder un écran de temps en
temps. Les enfants, c'est certain qu'ils vont... même, ils vont peut-être
regarder ce qui se passe sur le Facebook de son père ou de sa mère, mais on
parle vraiment de s'inscrire et d'avoir un compte. À ce moment-là, oui, il faut
que les plateformes collaborent et puis il faut qu'il y ait des garde-fous ou
des mécanismes de contrôle pour s'assurer
qu'ils... Alors, oui, c'est un... Puis aujourd'hui c'est vraiment un éveil
collectif, là, il faut que tout le
monde s'ouvre les yeux. On lève les drapeaux. On ne dit pas : C'est le
diable en personne, mais on dit : Attention, il y a des pièges très
importants, puis il faut que tout le monde soit mobilisé. Et plus tôt on le
fait, mieux c'est.
Mme Massé :
Tout à fait d'accord avec vous là-dessus. Et je pense, ceci étant dit,
qu'il y a des gens comme nous qui ont peut-être un intérêt certain à ce que ça
change, mais il y a des gens, comme les grandes plateformes, qui n'ont pas intérêt à ce que ça change. Alors, il
faut un peu les contraindre, on va se dire ça de même, pour se parler dans notre
langage.
J'irais plus sur la
recommandation 15. Parce que, vous savez, quand je vois toute
l'augmentation de la haine et de l'intolérance, notamment par rapport aux
communautés LGBTQI2+, c'est sûr que je suis préoccupée, parce que je me rends compte... et même aussi par rapport
aux femmes, le rapport hommes-femmes, bon, etc., vous en avez fait état, je
suis préoccupée quand je vois la place et le rôle des influenceurs.
Ce que je comprenais
de votre recommandation 15, c'est : il faut aussi, en se préoccupant
de ça, puisque l'écran, l'accès aux prises de parole, ça a un impact sur
l'image de moi, ça a un impact sur mon cerveau, ça a un... mais ça a aussi un
impact sur ma façon de concevoir le monde, donc, tout ce qui est fausse
nouvelle, tout ce qui est influenceur qui discrédite les droits, par exemple, des
personnes LGBT, il faut qu'on se donne les moyens d'agir aussi là-dessus.
Est-ce que j'interprète bien votre recommandation n° 15?
M. Oliva
(Vincent) : Oui, tout à fait. Puis c'est sûr que ce qu'on voit chez
nos voisins du Sud est un peu inquiétant, parce que la censure ne fait plus
partie du paysage, hein, il y a une espèce de besoin d'avoir accès à tout, et
la liberté d'expression est utilisée à toutes les sauces. Donc, dans ce
sens-là, oui, c'est... vous avez bien compris. Je ne sais pas si tu veux...
Mme Igartua
(Karine) : Deux éléments. Il y a l'élément de la contrainte puis il y
a l'élément de l'éducation aussi, on en a fait allusion tantôt, mais
l'éducation à la citoyenneté numérique, pour que le jeune apprenne, d'une part, comment se comporter en ligne, pour qu'il y
ait moins de cyberintimidation, mais aussi qu'il soit aussi capable de voir
qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui n'est pas vrai, tu sais, qu'il apprenne
un petit peu à faire la part des choses en ligne. Et un cours sur la santé mentale
dans les écoles aiderait aussi le jeune à apprendre d'autres façons de se
réguler. Plutôt que de faire ça quand il ne se sent pas bien, pour se dissocier
de son émotion, on l'apprend... on lui apprend comment reconnaître et gérer son
émotion, plutôt que d'essayer de la tasser en utilisant un écran.
La Présidente (Mme Dionne) : ...peu de temps, donc j'ai encore deux intervenants. M. le député de Jonquière.
M. Gagnon : Oui.
Bonjour. Merci aux gens de la fédération d'être ici. Des mots qui nous parlent
beaucoup : responsabilité collective, responsabilité parentale, les
parents doivent donner l'exemple. M. le pédiatre de Rimouski, je fais une
intrusion dans votre bureau, si vous me permettez, j'aimerais savoir, quand
vient le moment de dire à un parent qu'il faut modifier le comportement, qu'il
y a urgence, la plupart du temps, comment réagit la famille. Est-ce qu'on est en mode collaboration? Est-ce qu'on est
en mode ingérence? Est-ce que vous êtes en confrontation? Je veux entendre
un peu la manière que la famille se porte.
• (12 h 10) •
M. St-Pierre
(Yohann) : Il peut y avoir de tout, mais, ceci dit, on touche souvent
un point sensible, parce que parfois les familles peuvent être aussi honteuses
de ça. Déjà, qu'ils le disent, c'est parfait. Moi, j'aime la transparence,
j'aime l'honnêteté. Et on est surtout dans une relation d'aide, et ils sont en
besoin d'aide aussi. Comme je disais tout à l'heure, ils n'ont pas accès à d'autres
ressources, donc on prend le temps de discuter ensemble, puis je travaille beaucoup des objectifs réalistes, aussi,
qu'ils peuvent atteindre, aussi, parce que, sinon, on n'est pas... si on vise
trop haut, on les rend en échec, à ce moment-là. Mais c'est très délicat.
Ceci
dit, pour moi, ce n'est pas tabou, parce que ça fait partie des habitudes de
vie saines, bien manger, bouger, bien dormir puis avoir une gestion des écrans.
Puis, chez les adolescents, bien, on rajoute aussi la consommation. Donc,
ce n'est pas évident, ce n'est pas facile, donc il faut y aller
progressivement.
Et,
je vous dis, souvent, puis quand... je vois plus les adolescents
individuellement, de façon individuelle, une famille peut réussir, mais
c'est extrêmement difficile parce que toute la collectivité ou l'entourage ne
fait pas la même chose. Donc, c'est des exceptions, moi, dans mon bureau, que
les familles ont mis des règles claires pour leurs enfants. Ce sont les
exceptions. Moi, chez nous, je me fais dire que je ne suis pas un bon parent,
de toute façon. On n'est pas parfaits, mais je suis, en plus... comme pédiatre,
mes enfants ne sont pas chanceux d'être chez moi.
M. Gagnon : Je
sais que votre pratique...
M. St-Pierre
(Yohann) : Il y a un manque d'éveil, parce que des fois il y a une
surprise de, tu sais...
Une voix :
...
M. St-Pierre
(Yohann) : Oui, il y a un autre médecin aussi, ils sont doublement pas
chanceux.
M. Gagnon : Je sais que votre pratique est inconditionnelle,
mais souvent on se fait dire que l'environnement, le statut parental
dans lequel on habite peut avoir un impact sur le nombre d'heures. Est-ce que
vous croyez à ce qu'on a entendu?
M. St-Pierre (Yohann) : Clairement, il faut... Bien, c'est ça, c'est l'exemplarité, donc il faut montrer
l'exemple, donc, nous-mêmes, ne pas utiliser nos téléphones, fermer les écrans.
Ceci dit, être exemplaire ne veut pas dire parfait non plus. Donc, c'est de déculpabiliser les familles
par rapport à ça, mais surtout les sensibiliser aussi, les ouvrir. Puis c'est un
travail progressif aussi, là, parce que c'est extrêmement difficile de
travailler ça. Mais souvent c'est la pierre angulaire
de tous les autres problèmes, où ça engendre la continuité du cercle vicieux.
Donc, qui vient avant quoi, le trouble du sommeil ou, finalement, le
trouble de consommation des écrans?
La Présidente (Mme Dionne) : Dr
St-Pierre, Dr Oliva, Dre Igartua, merci infiniment pour votre contribution
à ces travaux, donc, des échanges très enrichissants.
Alors, pour ma part,
je suspends les travaux quelques instants pour accueillir nos prochains
témoins. Merci.
(Suspension de la séance à
12 h 13)
(Reprise à 12 h 17)
La Présidente (Mme
Dionne) : Alors, la commission reprend maintenant ses travaux.
Donc,
je souhaite la bienvenue aux représentants de l'Association des médecins
ophtalmologistes du Québec, donc, Dre Isabelle Laliberté et
Dr Salim Lahoud, donc, bienvenue à cette commission.
Donc, je vous
rappelle, vous avez 10 minutes pour nous... vous présenter, nous faire
part de votre exposé, et ensuite nous procéderons à une période d'échange avec
les membres de la commission. Donc, la parole est à vous.
Association des médecins ophtalmologistes du Québec (AMOQ)
M. Lahoud (Salim) : Bonjour, Mme la
Présidente, mesdames et messieurs de la commission. Je suis Salim Lahoud, je
suis ophtalmologiste au CHUM et président de l'Association des ophtalmologistes
du Québec, accompagné de Dre Isabelle Laliberté, Centre mère-enfant Soleil du
CHUQ du Québec...
Mme Laliberté (Isabelle) : Du CHU de
Québec.
M. Lahoud
(Salim) : ...du CHU de Québec. Ça fait que c'est notre experte, au
niveau de l'association, pour vous parler un peu des effets des écrans au
niveau des yeux. Après la présentation de nos collègues de la FMSQ, nous, on va
se concentrer un peu plus sur l'effet au niveau visuel. Ça fait que je cède la
parole à Isabelle.
Mme Laliberté (Isabelle) : Les
téléphones, les tablettes, les ordinateurs, les consoles de jeu sont devenus
des outils importants pour l'éducation, le divertissement, la socialisation.
Mais cependant cette exposition croissante aux écrans n'est pas sans risque
pour la santé visuelle.
Donc, aujourd'hui, je vais vous présenter les
principaux effets néfastes des écrans sur les yeux de nos jeunes et en nous appuyant sur les études récentes menées
dans le domaine de l'ophtalmologie. Je vais vous parler de cinq points :
rapidement, de deux points, de la fatigue visuelle numérique et de la
sécheresse oculaire, pour se concentrer plus sur l'augmentation des cas de
myopie chez les jeunes, l'impact sur la rétine de la lumière bleue et les
perturbations du sommeil.
Donc, on sait que, dans... une étude a prouvé
que 70 % des jeunes qui utilisent des écrans pendant plus de quatre heures,
ce qui est fréquent chez nos jeunes, par jour, rapportent des symptômes. Ils
vont rapporter une vision floue, des
douleurs oculaires et des maux de tête. On a des nouveaux mots maintenant, ça
s'appelle maintenant la «fatigue visuelle numérique». Donc, c'est les
écrans qui font ça.
Quand on fixe les écrans, aussi, on cligne moins
des yeux, le taux de clignement diminue au moins de 50 %, parce qu'on
regarde un écran, et ça peut amener des symptômes de sécheresse oculaire et des
sensibilités accrues à la lumière. Les
ophtalmologistes suggèrent souvent de prendre des pauses plus fréquentes et
l'utilisation des larmes artificielles.
Je veux
surtout vous parler... un des effets les plus préoccupants est l'explosion des
cas de myopie dans le monde. L'OMS estime que, d'ici 2050, 40 % à
50 % de la population mondiale va être myope. Présentement, on a à peu
près 20 % à 30 % de la population mondiale.
La myopie, c'est un trouble de vision qui a une
difficulté à voir clairement les objets éloignés, donc la vision de loin. La
myopie, c'est un oeil qui grandit trop et qui est rendu trop long, O.K., et
c'est pour ça qu'on ne voit pas bien. Il y a plusieurs études, je vais vous
éviter... il y en a 3 200 à peu près, plusieurs études qui ont démontré
une corrélation entre l'utilisation des écrans et l'augmentation de la
prévalence de la myopie. Mais ça ne prouve pas un lien de causalité directe. La myopie n'est pas juste due aux écrans. Il
y a la génétique aussi, il y a plusieurs d'autres causes. Mais ça a
quand même un lien direct. Les comportements de l'humain ont changé avec les
écrans.
• (12 h 20) •
Pourquoi on devient plus myope? Il y a deux
mécanismes. C'est la vision préexcessive : les jeunes regardent leurs écrans à peu près à 30 centimètres,
sont toujours collés sur leurs écrans, et ça fait une hyperstimulation des
muscles de l'oeil. Les muscles qui fait qu'on fait le focus, les muscles
de l'accommodation travaillent constamment, et c'est cette surcharge prolongée
qui peut faire allonger l'oeil. Donc, on l'a dit, un oeil trop long, c'est un
oeil myope. Donc, la vision préexcessive, et aussi le manque de lumière
naturelle.
Des études
ont montré qu'un temps insuffisamment passé à l'extérieur pendant l'enfance
contribue de manière significative au développement de la myopie. Puis
comment ça se fait? C'est que la lumière naturelle, ça stimule la libération de dopamine de la rétine, une section
de l'oeil, et la dopamine, elle a un rôle important, elle protège l'allongement
de l'oeil. Donc, si on ne va pas dehors, on
n'a plus cette dopamine-là dans la rétine, et l'oeil s'allonge et devient
myope.
Il y a une étude qui a démontré que les enfants
qui utilisent des écrans plus de trois heures par jour ont un risque de
2,5 fois plus élevé de développer une myopie que ceux qui utilisent moins
d'une heure les écrans. Donc, le temps passé
sur les écrans augmente la myopie. Vous allez me dire : Ce n'est pas
grave, la myopie, on met des lunettes, c'est terminé. Mais ça a quand
même... ça a quand même un impact à long terme chez nos jeunes. Surtout, ceux
qui commencent la myopie plus jeune sont vraiment plus à risque d'avoir une
myopie élevée à l'âge... rendus à l'âge adulte.
Ceux qui ont une myopie de plus que moins 6 — ça, c'est des termes médicaux — bien,
ont des risques accrus de décollement de rétine à l'âge adulte, avec une
perte visuelle permanente. Et, puisque l'oeil s'allonge, la rétine devient plus
mince, parce que la rétine ne va pas se régénérer, il va y avoir une
dégénérescence du sens de la vision, due à
la myopie, avec encore des atteintes visuelles permanentes. Ça a aussi un
impact sur la qualité de vie de nos jeunes, d'être myopes :
toujours avoir besoin de lunettes pour voir, faire du sport avec des lunettes
et affecter leur confiance en eux.
Donc, est-ce qu'il y a des solutions préventives
recommandées? Un temps limité devant les écrans, on en a parlé avec la FMSQ, mais,
spécifiquement pour limiter la myopie, deux heures par jour, maximum, puis
surtout pour les moins de 12 ans. Parce qu'on sait que, si la myopie
apparaît avant l'âge de 10 ans, ils vont finir avec une myopie beaucoup
plus importante à l'âge adulte. Également, avec les études sur le temps passé à
l'extérieur, un temps passé à l'extérieur de
deux heures par jour serait l'idéal chez nos jeunes, mais maintenant, avec les
écrans, on ne va plus jouer dehors, on fait de l'écran.
Je veux aussi
vous parler de l'impact, sur la rétine, de la lumière bleue. Les écrans, ça
émet une lumière bleue à haute énergie qui pénètre profondément dans
l'oeil, jusqu'à la rétine. Il y a beaucoup d'études en cours, on ne peut pas encore conclure les effets à long terme de la
lumière bleue sur l'oeil. Les études se font présentement surtout chez les
rongeurs et avec des lumières bleues très intenses, beaucoup plus intenses que
les écrans qu'on utilise présentement. Donc, il y a des études qui montrent que
la lumière bleue pourrait contribuer à un stress oxydatif de la rétine et aux
dommages de la rétine. Les jeunes, en plus, filtrent beaucoup moins la lumière
bleue parce que le cristallin est clair. Chez l'adulte, le cristallin jaunit,
et ça devient un cristallin qui filtre la lumière bleue, tandis que les jeunes
n'ont pas ce mécanisme de protection là.
Mais, pour l'instant, on ne peut pas savoir s'il va y avoir plus de cas de
dégénérescence maculaire liée à
l'âge, due aux écrans et à la lumière bleue, mais c'est vraiment en étude puis
en... on étudie beaucoup ça.
Ça dépasse le champ strict
de l'ophtalmologie, la FMSQ en a parlé un peu, mais il est important de
souligner que l'exposition aux écrans, notamment avant le coucher, perturbe la
production de mélatonine. La lumière bleue, ça stimule la rétine, et la
rétine... quand la lumière bleue stimule la rétine, ça supprime la production
de mélatonine, et la mélatonine, c'est une hormone qui joue un rôle important
dans le cycle éveil-sommeil. Normalement, lorsque la lumière du jour ambiante
diminue, en fin de journée, la rétine va le percevoir, et la production de
mélatonine va augmenter, et ça prépare votre corps à aller se coucher. Donc,
l'exposition prolongée aux écrans en soirée, ça perturbe ce mécanisme-là
naturel puis ça envoie au cerveau un signal similaire à celui de la lumière du
jour. Une étude qui a été faite où... un
usage d'écran juste avant de dormir réduit en moyenne 16 % de la
production de mélatonine naturelle.
Les effets étaient particulièrement marqués chez les enfants de moins de
12 ans. Ils sont encore plus réactifs à ça.
Ça a des conséquences sur la qualité et la durée
du sommeil. Les enfants et les adolescents qui utilisent des écrans une heure
ou plus avant le coucher dorment en moyenne une à deux heures de moins par
nuit. Leur sommeil paradoxal, c'est une phase essentielle, il va être diminué.
Puis c'est une phase... c'est une phase essentielle pour la consolidation de la
mémoire et la gestion des émotions, ce qui est important chez nos adolescents.
Ça a aussi des effets à long terme, comme on
en a discuté plus tard... plus tôt. Un manque de sommeil chronique augmente
l'obésité, les troubles anxieux, les troubles dépressifs.
Nos enfants ont des habitudes numériques de plus
en plus jeunes. C'est de plus en plus difficile de les empêcher d'utiliser
leurs cellulaires au coucher. Et il y a des études qui ont été faites que
d'avoir le cellulaire dans la chambre
augmente l'utilisation, au sommeil. Ils ne sont pas capables de ne pas le
prendre, le cellulaire. Donc, il serait suggéré de faire de l'éducation
aux parents, de montrer l'exemple, mais d'éviter l'utilisation des écrans avant
le coucher, sans avoir les écrans dans les chambres à coucher.
Donc, avec
tout ce que je vous ai dit, on a parlé de limiter le temps d'écran pour un
maximum d'une à deux heures par jour
pour les enfants, avec des pauses fréquentes pour diminuer la myopie, et aussi
encourager les activités en plein air pour
la lumière naturelle. Nous suggérons aussi : pas d'écrans dans les heures
avant le sommeil, pour favoriser le sommeil.
Je vous ai parlé beaucoup d'effets néfastes,
mais je vais prendre une minute pour vous parler des effets qui... étant en
ophtalmologie, assez bénéfiques des écrans, c'est nos enfants en basse vision.
J'ai beaucoup de patients avec déficit visuel, et les écrans... ils ont un
ordinateur à l'école, et ça leur permet de suivre l'enseignement dans des
classes régulières, parce que les écrans numériques, les tableaux électroniques
des professeurs sont projetés sur leur écran,
et ça leur permet de voir ce qui se passe. Ça leur permet de changer les
contrastes, de grossir les caractères, et même, ils peuvent avoir une
lecture auditive de ce qui se passe avec leur recherche. Donc, les écrans, il
ne faut pas les démoniser, il faut apprendre à vivre avec eux.
Donc, l'impact sur la santé visuelle des jeunes,
c'est une problématique croissante qui nécessite une prise de conscience
collective, et je pense que c'est pour ça qu'on est là aujourd'hui. Les
ophtalmologistes veulent vous rendre conscients des dangers potentiels, tels
que la fatigue oculaire... la fatigue visuelle, pardon, la progression de la
myopie, les dommages rétiniens potentiels, qui ne sont pas encore prouvés, et
la perturbation du sommeil. Il est essentiel d'adopter des comportements
responsables pour préserver la santé visuelle des générations futures. Et des
simples... en intégrant des solutions préventives simples, nous pouvons réduire
considérablement ces risques, tout en profitant des avantages des technologies
modernes.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci
beaucoup pour cet exposé. Nous allons débuter la période d'échange avec M. le
député de Gaspé.
M. Sainte-Croix : Merci, Mme la
Présidente. Madame, monsieur, bienvenue. Merci de vous prêter à cet exercice
important, hein, pour le devenir de nos jeunes. Écoutez, vous avez quand même
tracé un portrait inquiétant de la santé... de l'évolution de la santé en
fonction de l'usage de nos écrans. On s'entend pour dire que, dans la vie d'un
jeune comme dans celle d'un adulte d'aujourd'hui, la question de l'accès à
l'écran, de l'usage de l'écran au quotidien, autant dans le loisir que dans le
travail, c'est là pour rester, hein?
Mme Laliberté (Isabelle) : La
preuve...
M. Sainte-Croix : La preuve, voilà.
Mme Laliberté (Isabelle) : ...je
l'ai devant moi, c'est ça.
M. Sainte-Croix : Vous avez fait
état, tu sais, de comportements responsables en fonction de préserver un
maximum de qualité au niveau de la santé. J'imagine que vous avez vu, dans les
dernières années, les jeunes qui passent vous voir, c'est de plus en plus
évident que l'impact se fait sentir. Comment vous voyez, là, dans les prochaines années, en fonction de l'usage, en
fonction des enjeux de santé... Puis, tu sais, on a, dans les derniers mois, là,
rencontré des gens qui nous parlent autant du point de vue émotionnel,
psychologique, santé, physique, bref, il y a plusieurs angles à couvrir.
Comment voyez-vous, là, dans votre quotidien, dans votre spécialité médicale...
que devons-nous faire pour s'assurer de mettre les chances de notre côté en
fonction des jeunes qui vont développer de plus en plus des problèmes de santé
jeunes, en fonction de... du point de vue visuel? Comment vous voyez les choses
arriver, là?
• (12 h 30) •
Mme Laliberté
(Isabelle) : Écoutez, les études ont sorti. Même avant, tout le monde,
quand les écrans ont sorti, on n'a jamais
pensé que ça pouvait avoir... C'est à force de ces années-là. Je pense que les
gens ne le savent même pas. Tu sais, je veux dire, les patients, quand
je demande : Qu'est-ce que tu fais à l'écran pour te coucher... est-ce que
tu fais de l'écran avant te coucher?, ils en font, mais ils ne le savent pas,
ils ne le savent pas que ça perturbe. Donc, je pense qu'il y a un gros travail de
sensibilisation.
Je vous dirais aussi : Il y a un gros
travail pour essayer de diminuer la myopie, on essaie d'avoir... il y a des
outils pour essayer de limiter la progression, sans parler des écrans, là,
c'est un petit peu en dehors du sujet ici, on essaie de développer des
traitements pour freiner la progression de la myopie, qui ne sont pas parfaits.
Mais c'est sûr qu'il faut que les jeunes
soient plus sensibilisés. Et, encore là, ils ne peuvent pas arrêter, mais je
pense qu'il faut atteindre l'équilibre.
M. Sainte-Croix : Merci.
M. Lahoud (Salim) : La prévention
est toujours la meilleure solution.
Mme Laliberté (Isabelle) : Exact.
M. Lahoud (Salim) : Ça fait que, même
s'il y a des traitements qu'on pourrait retarder, là, c'est des coûts quand même élevés pour les patients, pour la
société, alors que, là, la prévention est quand même assez facile, là, tu sais?
Il a juste à aller jouer dehors. Ce n'est pas si facile que ça. C'est comme la
publicité, on ne fait pas l'exercice dans le centre,
juste, on marche, là. C'est juste faire un peu d'exercice dehors, puis ça va
faire diminuer beaucoup la progression qu'on a actuellement. Puis ça va
en augmentant, actuellement, là, on voit que les études montrent que la
progression est énorme, là.
M. Sainte-Croix : Voilà,
c'est là où je m'en allais, tu sais, je pense que, dans les dernières années,
j'imagine que, quand vous regardez statistiquement le portrait de votre
clientèle, entre guillemets, il y a une évidence, là, ça va de soi.
M. Lahoud (Salim) : Les études sont
très claires, puis il y en a plein qui montrent que c'est en croissance, là, c'est évident, là. Puis c'est juste...
souvent, c'est une question d'éducation, c'est une question de méconnaissance,
là, un peu, des patients. Puis il
faut travailler là-dessus, en fait, la population, il faut travailler
là-dessus, là, c'est bien important, là.
M. Sainte-Croix : Donc, au
niveau de la santé publique, il y a tout... il y a tout un virage à faire en
termes de pédagogie.
Mme Laliberté (Isabelle) : Oui,
puis avant on ne le savait pas, mais là il y a de plus en plus d'études pour
s'appuyer.
M. Sainte-Croix : Exact, voilà,
avec le temps.
Mme Laliberté (Isabelle) : Exact.
M. Sainte-Croix : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) :
Merci, M. le député. Mme la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme Cadet : Merci beaucoup, Mme
la Présidente. Merci, Dr Lahoud et Dre Laliberté, pour votre présence
aujourd'hui. Je pense qu'on l'a mentionné la
dernière... lors de la dernière intervention de la FMSQ, là, que c'est
manifestement aussi un enjeu de santé publique. J'aimerais donc vous
entendre, donc, sur peut-être, donc, certaines distinctions, où est-ce que...
Évidemment, donc, on pense à notre génération, donc, nos parents nous disaient,
donc, de ne pas rester trop près de la télévision non plus. Donc, ce lien-là,
donc, entre écran et, donc, performance visuelle, donc, est relativement établi
depuis plusieurs années. Mais est-ce que vous faites un lien... Et là
peut-être... vous parliez d'hyperstimulation
du muscle de l'oeil au début... en début de présentation, avec la taille des
écrans qui rétrécit. Puis je pense au fait qu'on a fait une tournée dans
les écoles, et c'était plutôt rare que les jeunes nous disaient qu'ils passent
beaucoup de temps devant la télé, là, c'était le gros téléviseur. C'était
beaucoup, bon, les réseaux sociaux, les jeux vidéo, même sur le téléphone.
Donc, ils sont très, très exposés à des écrans de très petite taille. Donc,
j'aimerais peut-être vous entendre un peu plus longuement sur cet aspect-là qui
a beaucoup évolué.
Mme Laliberté
(Isabelle) : En fait, c'est la distance, parce que vous voyez bien de
loin. Tous ceux qui ont des foyers ici ne sont plus capables de voir près, et
c'est parce que ce muscle-là ne fonctionne plus. Chez les jeunes, il fonctionne
très bien. Ils sont capables, des fois... la preuve, votre enfant va vous
dire : Hé! regarde, maman, puis tu n'es pas... moi, je ne suis plus
capable de lire. Je dis : On recule. Donc, ça, c'est la presbytie. Mais
les jeunes n'ont pas ça. Donc, leur muscle pour faire le focus est très fort.
Ils mettent leurs écrans très près. Et ça n'a pas de lien nécessairement avec
la grosseur. C'est la distance. C'est sûr que, si c'est écrit plus petit, des
fois, ils vont le mettre plus proche, mais c'est vraiment la demande de focus
que ça fait. En étant toujours contracté, ce muscle-là, il fait tout le tour de l'oeil à
l'intérieur, puis ça fait comme une pression sur l'oeil, puis ça va faire qu'il
va s'allonger. Donc, ce n'est pas nécessairement... Mais c'est vrai que
regarder la télévision de loin demande moins de cet effort visuel là que
l'écran qui est de près. C'est vraiment la distance où on doit forcer les yeux
pour voir.
M. Lahoud
(Salim) : Et la durée aussi.
Mme Laliberté
(Isabelle) : Oui, la durée.
Mme Cadet :
Et la durée.
Mme Laliberté
(Isabelle) : Exact.
Mme Cadet :
Oui, c'est ça, parce qu'avant il y avait une question d'accessibilité aux
écrans, qui n'est pas la même qu'aujourd'hui.
Mme Laliberté
(Isabelle) : Exact. C'est ça, à l'école, il n'y en avait pas, de
télévision, on n'en faisait pas.
Mme Cadet :
Il fallait la rouler dans la classe.
Mme Laliberté
(Isabelle) : Exact.
Mme Cadet :
Puis aussi, donc, c'est ça, donc, vous dites : C'est vraiment, donc...
c'est vraiment la question de distance. Ils
disent : On ne peut pas vraiment reculer. Avec la télé, on peut nous
dire : O.K., on recule, on ne se met pas aussi proche, mais avec le
petit écran...
Mme Laliberté
(Isabelle) : On peut dire à nos jeunes de se mettre un peu plus loin,
mais ça reste que la... c'est une exposition prolongée, puis il faut quand même
qu'il y ait un travail. C'est sûr qu'une posture, tu sais, un équilibre de
positionnement, de mettre les écrans plus loin, oui, mais je pense que c'est un
combat... ce n'est pas un combat qu'on devrait mener : Mets-le
20 centimètres plus loin. C'est vraiment sur le temps d'exposition.
Mme Cadet :
O.K. Puis aussi, au niveau de la lumière bleue, parce que vous avez abordé,
donc, cet effet-là, donc, sur l'attention, et, bon, donc, l'exposition à la
lumière bleue, l'impact que ça pouvait avoir, notamment avant le coucher,
est-ce que vous faites des recommandations notamment aux fabricants? Parce que
vous l'avez dit, donc, il va falloir qu'on s'habitue au fait qu'on vit avec les
écrans de façon continue. Ces effets-là, ils sont délétères en petite enfance, mais ils le sont tout au long de la vie
aussi. Donc, est-ce que, donc, dans vos études ou dans votre association,
vous dites : Il faudrait y avoir, donc, d'autres mécanismes pour que...
pour, en fait, évidemment, diminuer le temps d'écran, mais essayer, donc, de
diminuer l'exposition à la lumière bleue en tant que telle?
Mme Laliberté
(Isabelle) : Présentement, on n'a pas de recommandation. Il faut dire
que la lumière bleue, là... on parle des lumières bleues des écrans, mais la
lumière bleue est partout. Toutes les lumières DEL, c'est de la lumière bleue,
en fait. Et, même les jouets brillants, tout ce qu'il y a dans les chambres,
c'est tout de la lumière bleue. En Europe, il y a des recommandations sur...
pour les jouets, le type de luminosité des lumières bleues, mais souvent ce
n'est pas nécessairement le problème. Vraiment, les lumières bleues plus
importantes, c'est les grosses lampes frontales, les phares d'auto, les choses
comme ça. Ce n'est quand même pas une lumière bleue qui en émet tant que ça,
les écrans. Surtout, ils mettent des filtres, ce n'est pas si... on pense que
ça aide, les filtres à lumière bleue dans
les écrans, mais il n'y a pas de recommandation officielle. Mais, oui, les
grades... les lumières DEL, ils ont comme
des grades de luminosité de bleu. Et là on sort un peu du sujet des écrans,
mais, dans la lumière bleue des DEL, quand les couleurs sont chaudes,
comme quand on choisit un blanc chaud, ça a moins... ça émet moins de lumière
bleue que les blancs froids. Mais là c'est vraiment en dehors du sujet des
écrans.
Mme Cadet :
Merci beaucoup.
La Présidente (Mme
Dionne) : Le temps file, alors je vais passer maintenant la parole à
Mme la députée d'Iberville.
Mme
Bogemans : Merci beaucoup, Mme la Présidente. J'avais deux petites
questions, par oui ou par non, pour être certaine que j'avais bien compris. La
lumière bleue, ça inclut la télévision?
Mme Laliberté
(Isabelle) : Oui.
Mme
Bogemans : O.K., parfait. Puis retirer les écrans avant d'aller se
coucher, ce serait une heure avant, la recommandation optimale?
Mme
Laliberté (Isabelle) : Ils font des études pour voir quand est-ce la
mélatonine... Déjà, d'arrêter une heure avant le sommeil aide vraiment à
la mélatonine de reprendre. Même des fois... par contre, il y a certaines
études qui montrent que ça ne revient pas à un si haut
taux, là, que si on ne l'avait pas utilisé, mais, oui, ça aide, d'arrêter une
heure avant.
Mme Bogemans : Parfait. Puis moi, je
voulais vraiment savoir c'est quoi, votre opinion sur les casques de réalité virtuelle, parce que, quand on parle de
distance, on ne peut pas avoir plus près, les tableaux blancs interactifs, qui
sont beaucoup plus loin, mais que c'est
quand même un écran présent dans les classes, puis tous les programmes
scolaires de «e-gaming», pour ceux qui en consomment énormément.
Qu'est-ce que... qu'est-ce que vous pensez?
Mme Laliberté (Isabelle) : On tombe
plus dans l'opinion personnelle, parce qu'il n'y a pas toujours des
recommandations sur tout. Les tableaux... les tableaux à l'école, bien, c'est
fait, ça... ils ne sont pas toujours... ils ne sont pas focussés, les jeunes,
ça regarde partout, ça va à leurs livres, ça lève les yeux, donc je ne pense
pas que c'est un problème. Je vous dirais que les jeunes vont surtout se
plaindre un peu de la luminosité. Puis je pense qu'il y a beaucoup
d'informations qui sont mises, c'est... il y a une surcharge visuelle, parfois,
pour les jeunes dans les tableaux. Donc, je ne pense pas... Ça fait partie du
monde moderne.
Après ça, il y avait les casques virtuels, bien,
c'est un écran comme les autres, je veux dire, pas parce que c'est un écran sur
un cellulaire ou un écran de casque virtuel... c'est l'équivalent, c'est la
même chose, pas plus ou moins dangereux, c'est la même chose.
Mme Bogemans : O.K. Parfait. Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci,
Mme la députée. Mme la députée de D'Arcy-McGee.
Mme Prass : Merci, Mme la Présidente.
En parlant de la lumière bleue, on sait que, dans plusieurs écoles, les écrans
sont devenus un outil de travail tout au long de la journée. Et, si j'ai bien
compris, il y a des lunettes qui sont disponibles, je pense, que les personnes
peuvent porter justement pour diminuer l'effet de la lumière bleue. Parce que
je me dis juste : Si les jeunes sont à l'école, est-ce qu'il y a des
lunettes, est-ce qu'il y a une couverture d'écran, quoi que ce soit qui ferait
en sorte que leur exposition serait moindre?
• (12 h 40) •
Mme Laliberté (Isabelle) : La
plupart des lunettes, maintenant, ont un filtre bleu, mais ce n'est pas
vraiment prouvé que c'est efficace, parce que la lumière ne rentre pas juste
là, hein, tu sais, elle rentre partout. Donc, est-ce que la lunette est
efficace? La plupart des experts le recommandent. Est-ce que ça va diminuer les
effets des écrans? On ne le sait pas vraiment. Pour ce qui est des écrans avec
le filtre bleu, possiblement que ça donne un peu moins de fatigue, mais ce
n'est pas ça qui va freiner, mettons, la progression de la myopie.
M. Lahoud (Salim) : Il y a beaucoup
d'études sur la lumière bleue puis l'effet néfaste, mais il n'y a pas d'études
scientifiques qui sont concluantes, actuellement. Mais on sait que... on sait
que ça a un effet, mais il faut le prouver scientifiquement. Puis, à partir de
là, on peut savoir comment on peut prévenir un tout petit peu.
Mme Prass : C'est ça. Et, pour la
question, justement, de la distance, moi, je vous donne l'exemple, moi, j'ai un
petit garçon qui est sur le spectre de l'autisme, qui a toujours son téléphone
qui est juste là, mais on a trouvé des applications qui... quand, je ne sais pas
comment ils font, mais quand ils ressentent que le téléphone est trop près,
bien, ils arrêtent de jouer le vidéo, puis il y a un son pour, disons, que le
parent vienne. C'est sûr qu'au fur et à mesure de la journée ça va sonner 15,
20, 30 fois, parce qu'il va toujours le ramener, mais pensez-vous que des
applications comme ça peuvent être utiles pour mieux sensibiliser les parents
quand, justement, le téléphone est trop proche?
Mme Laliberté (Isabelle) : Bien,
c'est tout nouveau, là, tu sais, ça fait quelques années que les études
sortent, puis on voit ça. Je ne savais même pas que ça existait, mais, c'est
sûr, il ne faut pas que ça sonne dans une école, tu sais, si les écrans sont
permis, mais, oui, pourquoi pas, si les parents veulent le prendre.
Mme Prass : Et, comme j'ai dit,
plusieurs écoles qui utilisent les écrans, bien, les iPad comme un outil de...
pédagogique. Est-ce que vous avez des conseils à cet égard?
Mme Laliberté (Isabelle) : Même
conseil, je veux dire, l'outil pédagogique peut aider, mais il ne faut pas
remplacer notre journée pédagogique par seulement les écrans. C'est ça, c'est
toujours l'équilibre. Il faut apprendre à vivre avec, ça va être des jeunes qui
vont travailler dans le monde numérique, mais toujours est la balance de ce que
les écoles vont offrir.
M. Lahoud (Salim) : Deux heures
d'activités à l'extérieur.
Mme Laliberté (Isabelle) : C'est ça.
Au lieu d'écouter un film, le vendredi après-midi, avec le professeur, bien, on
pourrait aller jouer dehors.
Mme Prass : Oui. Merci beaucoup.
La
Présidente (Mme Dionne) : Merci. Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques.
Mme Massé : Oui.
Comme le disait le médecin pédiatre avant vous, on est plus susceptibles
d'intervenir pour empêcher que l'enfant se casse une jambe, qu'il développe de
la dégénérescence oculaire. Ce que j'aimerais vous
parler deux instants, parce que je ne suis pas familière avec ça, mais vous
avez fait état que ça pouvait avoir... les écrans pouvaient avoir,
finalement, un effet sur... potentiel de dégénérescence oculaire. J'ai bien
compris, oui?
Mme Laliberté (Isabelle) : Mais
ce n'est pas prouvé encore, c'est chez le rongeur où c'est étudié présentement,
puis on voit une dégénérescence des cellules rétiniennes, mais c'est des
niveaux de lumière bleue beaucoup plus forte que la lumière bleue de nos écrans
présentement.
Mme Massé : O.K., je comprends. Mais, en fait, ma question
était bien simple, c'est : Est-ce que la dégénérescence peut aussi
créer de la cécité, si elle n'est pas prise à temps, là?
M. Lahoud
(Salim) : Si la myopie augmente de façon importante, là, à partir de
moins six, moins sept, là, le chiffre à peu près, on parle de myopie maligne,
l'oeil s'allonge beaucoup plus, puis la rétine peut être malade. Il peut y avoir une perte de vision centrale, comme la
dégénérescence maculaire qui arrive chez les personnes âgées. On le voit
parfois chez les myopes qui ne sont pas superâgés, là, à l'âge adulte, qui
peuvent perdre la vision centrale, là, puis...
Mme Laliberté
(Isabelle) : Mais pas dans l'enfance.
M. Lahoud
(Salim) : Mais pas dans l'enfance.
Mme Massé : Merci.
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci. Mme la députée de Hull.
Mme Tremblay :
Oui. Alors, des intervenants
avant vous ont dit : De plus en plus, on doit outiller, sensibiliser.
Est-ce que vous avez cette impression-là qu'il y a méconnaissance, justement,
des parents que vous rencontrez, vis-à-vis l'utilisation des écrans puis
l'impact que ça peut avoir sur notamment les yeux, dans votre situation?
Mme Laliberté
(Isabelle) : ...ils ne le savent pas, ils n'ont pas... ils n'ont pas
appris. Je veux dire, moi, ils viennent me voir, puis, pour calmer leur enfant,
ils leur donnent le cellulaire ou j'examine leur enfant, puis eux-mêmes sont
dans ma salle en train de faire du cellulaire. Des fois, ils ne m'écoutent pas
parce qu'ils font... le parent fait du cellulaire. Donc, ils ne le savent pas,
puis c'est là qu'on a un gros rôle à... comme à sensibiliser les familles. Parce que c'est un outil qu'il n'y avait pas. Moi,
mes parents n'en avaient pas, moi, je n'en avais pas. Donc, il faut apprendre
à ces parents-là à... les outiller pour leur
dire : Il y a un effet chez votre enfant, pas seulement chez les yeux,
avec tout ce que... les autres
spécialités aussi rapportées, mais ils n'ont pas conscience. Ça me fait
toujours rire quand ils rentrent dans... puis qu'ils font du cellulaire
devant moi.
Mme Tremblay :
Oui. Et puis est-ce que vous
voyez plus d'enfants qui doivent porter des lunettes en bas âge, là, en
bas de cinq ans, qu'auparavant? Puis est-ce que vous pensez que c'est lié à
l'utilisation des écrans?
Mme Laliberté (Isabelle) : Ce
n'est pas... la myopie n'est pas seulement due... il y a des facteurs
génétiques.
Mme
Tremblay : Oui, il y a des... vous l'avez parlé tantôt.
Mme Laliberté (Isabelle) : Puis
les facteurs aussi... les Asiatiques ont beaucoup plus de myopie génétiquement.
Donc, les optométristes qui voient beaucoup
plus les enfants pour prescrire des lunettes vont... vous répondraient que,
oui, il y a plus de myopie qu'avant.
Mme
Tremblay : Qu'avant ou elle arrive de façon plus précoce.
Mme Laliberté
(Isabelle) : Plus précoce, effectivement.
Mme
Tremblay : Puis au niveau, là... vous avez parlé des troubles plus à
long terme, là, tu sais, la dégénérescence maculaire, des problèmes au niveau
de la rétine. Est-ce que ça aussi, dans le temps, vous voyez plus de jeunes adultes qui peuvent commencer,
justement, à avoir cette dégénérescence-là? Mais là vous dites que, là, vous
êtes... on est au début dans les études.
Mme Laliberté
(Isabelle) : On est au début, pour l'instant, non. Puis ça existe
déjà, la dégénérescence maculaire. Donc,
est-ce qu'on va pouvoir dissocier? En fait, on va voir... quand c'est... tous
nos jeunes qui ont utilisé les écrans vont être rendus une personne
âgée, c'est là qu'on va pouvoir avoir la réponse, en fait.
Mme Tremblay : Puis on ne l'aura pas
tout de suite parce que c'est plus...
Mme
Laliberté (Isabelle) : On ne l'aura pas tout de suite, c'est nouveau,
c'est trop nouveau.
Mme
Tremblay : Oui, c'est ça, exactement.
Mme Laliberté (Isabelle) : On
n'a pas encore de personnes âgées qui ont vécu avec... dans l'enfance avec les
écrans.
Mme
Tremblay : Ça fait que ça va prendre plusieurs années. Merci beaucoup.
M. Lahoud
(Salim) : C'est un début d'épidémie.
Mme Laliberté
(Isabelle) : C'est ça, c'est un début.
Mme
Tremblay : C'est un début.
La Présidente (Mme
Dionne) : Est-ce qu'il y a d'autres interventions de la part des
membres de la commission? Moi, j'avais une question. Vous parliez justement de
l'augmentation de la myopie à l'échelle mondiale. Donc, on comprend que le phénomène est vraiment mondial. Donc, est-ce
que vous avez des discussions avec certains... certaines facultés à
l'international ou certains de vos collègues?
Mme Laliberté
(Isabelle) : Bien, pas nécessairement personnellement, mais les études
se passent beaucoup en Asie, en Chine, parce
qu'eux, ils ont beaucoup de myopie. Donc, est-ce qu'on peut toujours... ce
n'est pas toujours notre population,
est-ce qu'on peut toujours... Mais eux font des études, c'est rendu qu'ils font
des études qui examinent les enfants qui sont allés jouer dehors à la
récréation versus non, puis ils voient une différence. Donc, ils font
vraiment, vraiment beaucoup d'études en Chine, c'est eux qui nous rapportent.
Puis, je veux dire,
c'est partout, ce n'est pas juste au Québec, ce n'est pas juste en Amérique du
Nord, c'est en Europe aussi. C'est pour ça
qu'ils essaient... beaucoup de compagnies essaient de développer des produits
pour essayer de stopper, mais, nous, ce qu'on voudrait, c'est la
prévention, arrêter avant.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
D'autres interventions? Alors, merci
beaucoup pour votre contribution
à ces travaux.
Donc, pour ma part,
j'ajourne les travaux... je suspends les travaux, pardon, jusqu'à
14 heures. Merci.
(Suspension de la séance à
12 h 47)
(Reprise à 14 h 01)
La Présidente (Mme
Dionne) : Alors, bonjour, très chers membres. Donc, nous avons le
quorum.
Donc, la commission
spéciale sur les impacts et les écrans... et les réseaux sociaux, pardon, sur
la santé des jeunes reprend ces travaux.
Donc, nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques
sur les impacts des écrans et réseaux sociaux sur la santé des jeunes.
Donc,
cet après-midi, nous aurons le privilège d'entendre les témoins suivants :
donc, Pre Audrey-Ann Deneault, Dr Jean-François Chicoine, ensuite
M. Benoit Gauthier, candidat au doctorat en sciences humaines appliquées
et chargé de cours, et Mme Céline Castets-Renard, titulaire de la Chaire
de recherche du Canada en droit international.
Donc,
nous accueillons maintenant Mme Audrey-Ann Deneault, donc, qui est
professeure adjointe au Département de
psychologie de l'Université Laval. Donc, bienvenue parmi nous,
Mme Deneault. Donc, je vous rappelle, vous avez... vous disposez de 10 minutes pour vous
présenter et nous faire part de votre exposé. Ensuite de cela, on procédera à
une période d'échange avec l'ensemble des membres de la commission.
Alors, la parole est à vous.
Mme Audrey-Ann Deneault
Mme Deneault
(Audrey-Ann) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Je tiens d'abord à
vous remercier ainsi que les membres de la commission spéciale de l'opportunité
d'être avec vous aujourd'hui. J'aimerais me présenter. Je suis professeure en
psychologie à l'Université de Montréal, et, depuis plus de 10 ans, mes
travaux de recherche portent sur le contexte familial pouvant supporter ou
nuire au bien-être des enfants et des jeunes. Dans le cadre de mes travaux, je
m'intéresse notamment au numérique dans le cadre des relations parents-enfants.
Avant de commencer,
je veux déclarer que je n'ai aucun conflit d'intérêts et que mes travaux de
recherche sont financés par voie de concours par des organismes indépendants.
Dans le cadre de
cette commission, vous avez pu entendre l'opinion de divers experts et
intervenants qui ont souligné que le numérique peut avoir un effet néfaste sur
la santé et sur le développement des jeunes. Plusieurs d'entre eux ont certainement recommandé de limiter le temps d'écran des
enfants, par exemple. Aujourd'hui, j'aimerais aborder un autre morceau
du casse-tête, soit l'influence des parents. J'aimerais défendre l'idée qu'il
serait difficile de limiter les effets néfastes du numérique sur les enfants si
on se concentre uniquement sur leur utilisation d'écrans à eux. Spécifiquement, je vais expliquer pourquoi il
est important de considérer l'utilisation numérique des parents aussi.
Je
vais commencer par vous présenter des données concernant la fréquence
d'utilisation des écrans chez les parents puis vous présenter trois points
centraux : d'abord, que les parents sont un modèle pour leurs enfants
quant à l'utilisation d'écrans, que les écrans interfèrent dans les relations
parents-enfants et ainsi nuisent à la santé mentale des enfants, et que les
parents partagent des informations sur les réseaux sociaux qui peuvent nuire à
la santé mentale des enfants. Je vais conclure en abordant des recommandations
potentielles.
Donc, il est d'abord
important de reconnaître que l'utilisation fréquente du numérique, ce n'est pas
quelque chose qui est unique chez les enfants, et que les parents sont aussi
régulièrement sur leur téléphone, sur un ordi, etc. Il est aussi bien de se souvenir
que, de nos jours, les parents de jeunes enfants, bien, c'est... ce sont des
gens qui ont grandi avec le numérique. L'enquête québécoise NETendances a
d'ailleurs trouvé que, chez les personnes en âge d'être parents, ce sont 98 % d'entre eux qui possèdent un appareil
électronique portatif. Une étude récente a d'ailleurs démontré que les parents de jeunes enfants passent
en moyenne plus de cinq heures par jour sur leurs téléphones cellulaires. Selon
cette même étude, les parents passeraient 27 % du temps qu'ils sont avec
leurs enfants sur leurs cellulaires. Donc, que ce soit à la maison, au
restaurant, au parc ou à l'épicerie, les enfants... les enfants voient
fréquemment leurs parents utiliser des écrans.
Ceci nous mène à la
question clé de cet exposé, donc : Pourquoi cette utilisation d'écrans des
parents pourrait-elle nuire aux enfants? Mon premier point central, c'est que
les parents agissent comme un modèle pour leurs enfants. Plusieurs études ont
démontré une association élevée entre le temps d'écran des enfants et de leurs
parents, et ce, peu importe l'appareil électronique. Par exemple, le temps
d'écran des enfants est de deux à cinq fois plus élevé si leurs parents ont une
utilisation fréquente d'écrans.
On peut se demander
ce qui explique cette association-là. Un concept fondamental en psychologie,
c'est que les enfants apprennent par observation. Dès leur plus jeune âge, les
enfants regardent leurs parents pour comprendre comment interagir avec le monde
qui les entoure, et ainsi les enfants sont influencés non seulement par ce
qu'ils... leurs parents leur disent, mais aussi par ce que les parents font et
ce qu'ils voient d'eux.
En matière
d'utilisation d'écrans, ça veut dire que, si un parent passe une grande partie
de son temps devant l'écran, bien, l'enfant
va intégrer ce comportement-là et le considérer comme étant normal. Si un
parent, par exemple, utilise fréquemment son téléphone pendant le souper,
l'enfant pourrait en déduire que c'est un comportement qui est
parfaitement acceptable et le reproduire, lui aussi, dans le futur. Ainsi,
selon moi, si la commission met en place des recommandations pour le temps
d'écran des enfants uniquement, les comportements parentaux ne changeront pas,
et ça va limiter l'effet que ça peut avoir sur les enfants. De plus, on peut
imaginer un parent qui passe plusieurs heures par jour sur son écran dire à son
enfant de ne pas être sur son écran. On s'entend qu'il y a une incohérence là
puis que le message risque de ne pas passer si bien.
Ensuite, mon deuxième
point, c'est que l'utilisation des écrans chez les parents peut nuire à la
santé mentale des enfants. En effet, les écrans peuvent être une source de
distraction qui nuit à la relation. C'est ce qu'on appelle la technoférence parentale, soit l'interférence de la
technologie dans les relations parents-enfants. La recherche démontre
que la technoférence parentale est associée à moins d'engagement du parent, une
capacité moindre à remarquer et répondre aux besoins des enfants, plus de
réponses parentales négatives et un plus grand risque de blessures chez les enfants. À l'adolescence, la technoférence est
associée à plus de conflits entre le parent et l'enfant et moins de soutien
émotionnel du parent.
Le problème ici,
c'est que, quand les enfants n'ont pas une relation positive avec leurs parents
ou que le parent ne répond pas bien aux
besoins de l'enfant, l'enfant devient plus à risque de développer des problèmes
de santé mentale, comme la
dépression, l'anxiété, l'hyperactivité et l'inattention. J'ai récemment examiné
ce phénomène en étudiant si la technoférence parentale était associée de
manière longitudinale à la santé mentale de 1 300 préadolescents.
Dans l'échantillon, on a environ 60 %
des préadolescents qui nous ont exprimé le désir que leurs parents passent
moins de temps sur leurs écrans quand ils sont avec eux. On a aussi
50 % des préadolescents qui nous ont dit qu'ils sont agacés par la technoférence de leurs parents au quotidien. En
plus, on a trouvé que la technoférence parentale menait au développement
de problèmes d'hyperactivité et d'inattention chez les jeunes. On a aussi
trouvé que, lorsque les jeunes souffraient d'anxiété, par la suite leurs
parents commençaient à faire plus de technoférences.
Donc, ces
résultats-là démontrent le fait que la technoférence peut mener à des
difficultés de santé mentale, mais aussi que le numérique pourrait servir un
petit peu d'échappatoire aux parents lorsqu'il y a des difficultés de santé
mentale. Ce faisant, les parents pourraient être moins présents pour soutenir
les difficultés de santé mentale qu'on voit chez les enfants.
Et, troisièmement,
j'aimerais aborder la question du partage parental sur les réseaux sociaux. Par
«partage parental», ici, je parle des
parents qui publient des photos, des vidéos ou des anecdotes de leurs enfants
sur les réseaux sociaux. Ce phénomène-là est assez important, parce que
la recherche estime que les parents partagent, en moyenne, 300 photos de leur enfant, par année, sur les
réseaux sociaux. Pour mettre ça en perspective, ça veut dire qu'un enfant
qui entre à la maternelle aurait 1 500 photos de lui sur Internet.
Bien qu'il existe des
enjeux très importants de protection à la vie privée par rapport à ce
partage-là, j'aimerais aujourd'hui attirer votre attention au risque
psychologique de ce partage parental. D'abord, la recherche montre qu'il y a une association entre le partage
parental et le fait que les jeunes vivent de la cyberintimidation à cause
du contenu qui a été partagé par les parents. De plus, les jeunes rapportent
que, quand le parent partage, ça forge une identité d'eux en ligne, et une
identité qu'eux aimeraient mieux former eux-mêmes. De nos jours, cette
identité-là en ligne peut être aussi importante, sinon plus que l'identité en
présentiel, si on veut. Donc, les jeunes rapportent que ça peut nuire à leur bien-être psychologique. Et,
dans une étude qu'on mène actuellement, on voit que les jeunes se disent
préoccupés du contenu partagé par leurs
parents et que ça pourrait être utilisé contre eux dans le futur. Donc,
l'utilisation des réseaux sociaux des parents pourrait, en soi, nuire au
développement de la santé mentale des enfants.
Donc, pour résumer, on
comprend que les parents jouent un rôle, qui est important, de modèle quant à
leur... l'utilisation d'écrans et que leur
utilisation du numérique peut avoir un impact sur la santé mentale et le développement
des enfants. Pour ces raisons, il est important de prendre une approche de
santé publique plus large afin de limiter les influences des impacts des écrans
et des réseaux sociaux sur les jeunes.
• (14 h 10) •
À cet effet, j'aimerais terminer avec quelques
recommandations. Il me ferait plaisir d'en parler davantage pendant la période
de questions. D'abord, je pense qu'il serait important de lancer une campagne
de sensibilisation à une large échelle aux parents pour les sensibiliser face à
leur utilisation d'écrans et de réseaux sociaux par rapport à leurs enfants. Je pense qu'il serait également
utile d'intégrer un volet sur l'utilisation des écrans et des réseaux sociaux
dans les programmes parentaux, comme ceux qui sont offerts aux nouveaux parents
dans les CIUSSS, par exemple. Et finalement on pourrait aussi soutenir des
espaces sans écrans ou des zones sans écrans dans des endroits publics, comme
des bibliothèques, des parcs, pour que les parents déconnectent et
interagissent avec leurs enfants, et même promouvoir le droit à la déconnexion
des parents, parce qu'on sait que, bien que parfois les parents pourraient être
sur les réseaux sociaux ou communiquer avec
des personnes quand ils sont sur leurs téléphones, bien, ça se peut qu'ils
répondent aussi à des courriels du travail, par exemple.
En somme, si on veut vraiment réduire les
impacts négatifs des écrans, des réseaux sociaux chez les jeunes, c'est
impératif d'adresser l'usage numérique plus large au sein de la société, et
particulièrement auprès des parents. Je vous remercie de votre écoute et j'ai
hâte d'échanger avec vous. Merci.
La
Présidente (Mme Dionne) : Merci beaucoup pour cet exposé. Je pense que les
membres de la commission ont beaucoup aimé vos statistiques. Alors, je
comprends que ce sont des études en cours, mais, si c'était possible pour vous de nous partager certaines de vos
statistiques, ce serait très apprécié, puis ça nous aiderait dans la réflexion
et la rédaction de notre rapport. Alors, merci beaucoup.
Donc, on va prendre les questions des membres.
Donc, M. le député de Marquette, la parole est à vous.
M. Ciccone : Merci beaucoup. Bonjour, Mme la professeure. Très, très
heureux de vous avoir avec nous. Merci pour votre témoignage. J'espère qu'il y
a beaucoup, beaucoup de parents qui vous ont écoutée aujourd'hui.
Vous savez que nous, comme... comme
législateurs, ici, on doit remettre un rapport au gouvernement. Il y a plusieurs éléments qui... sur... dont on doit...
on doit regarder, soit la majorité numérique, au niveau... au niveau également
juridique, jusqu'où on peut aller, légal, on va rencontrer des groupes en ce
sens-là aussi. Mais, avec les parents, vous savez que, pour le législateur, de
dire à un papa puis une maman : Bien là, voici ce que tu dois faire avec
ton enfant, ça risque d'être... d'être moins bien reçu.
Mais avez-vous quelques trucs pour nous, pour
qu'on puisse être capables de... d'entrer indirectement, là, ou de façon
hypocrite dans les chaumières pour faire comprendre aux parents que ce qu'ils
font là, parfois, ça ne fonctionne pas? Avez-vous des trucs pour nous autres?
Mme Deneault (Audrey-Ann) : Oui, je
comprends que c'est... C'est tellement difficile. Je comprends absolument.
Puis, des fois, on fait face à un problème similaire, en tant que chercheurs,
où on a le même but de parler aux parents de ces dangers-là.
Ça peut être difficile d'entrer dans les
chaumières, comme vous le disiez, mais je pense qu'il y a des campagnes de
sensibilisation qui ont été très efficaces dans d'autres pays. Je parlais
notamment à une journaliste en France, qui me disait : Ah! mais les
parents le savent maintenant, on a fait tellement de campagnes de sensibilisation,
on veut... on n'en fait plus, du partage sur les réseaux sociaux. J'avais
trouvé ça intéressant, que, là-bas, on avait déjà cette perspective-là, on en
entend parler régulièrement, tandis qu'ici je ne pense pas qu'on a autant ce
message-à.
Et, si je
peux faire une une comparaison, il y avait une campagne publicitaire,
récemment, de Naître et grandir, qui parlait de la compétition entre les
parents. Peut-être que vous l'avez vu à la télé? Mais c'était une mise en scène
de parents qui surenchérissaient en disant : Ah! mon enfant peut lire tout
ça. Je trouvais que c'était une belle façon de capturer l'attention des parents
puis de les faire réfléchir. Parce que je pense que vous avez raison qu'en tant
que législateurs il y a des limites à ce que vous pouvez faire. On ne peut pas
forcer les parents à faire des choses. Mais, déjà,
implémenter cette idée-là chez les parents, cette réflexion, ça pourrait être
quelque chose d'utile. Puis je pourrais facilement voir des, tu sais...
évidemment des annonces à la télé, mais aussi des affiches, peut-être, dans des
lieux publics, des slogans, là, c'est... des idées comme : Votre présence
compte plus qu'un écran, des choses comme ça, des petits messages qui
pourraient accrocher les parents. Et, d'intégrer ça dans les cours parentaux,
je pense que ça ferait une différence. Parce qu'être parent maintenant, c'est
très différent d'être parent voilà 20 ans, mettons.
M.
Ciccone : Oui. Bien, vous parlez... vous misez beaucoup sur
la sensibilisation, mais il y a plusieurs façons de sensibiliser. Vous en avez
donné quelques exemples. Parfois, on va utiliser des méthodes un peu plus chocs,
plus en douceur. Avez-vous des données à l'effet... quel genre de
sensibilisation qu'on pourrait faire avec les parents qui fonctionnent le plus?
Parfois, quand on leur fait peur, oh! ils réagissent. Puis ça dépend dans
différentes... dans différentes sphères aussi, là, des fois, ça marche, des
fois, ça ne fonctionne pas. Avez-vous une expertise là-dedans ou des études?
Mme Deneault (Audrey-Ann) : Je vous
dirais qu'au niveau de la... de tout ce qui est numérique, c'est encore
tellement nouveau qu'il n'y a pas nécessairement de données par rapport à ça.
Mais ce qui est clair, c'est que je pense qu'il y a
beaucoup de parents qui ne savent pas à quel point ça a un impact. Et
l'expérience que j'ai eue, moi, en parlant des données qu'on a recueillies, au
fil du temps, à des parents, des groupes, même dans les médias, ils ne savent pas que ça peut avoir cet effet-là,
par exemple, sur la santé mentale de leurs enfants. Puis je pense que ça,
c'est peut-être un message plus accrocheur que juste dire : Ah! bien, si
vous êtes sur votre téléphone, votre enfant va être sur le téléphone. Je pense
que les parents le savent peut-être intuitivement. Mais savoir le niveau après,
de dire : Ce n'est pas juste ça, mais aussi ça peut nuire à ton enfant, là
je pense que ça, c'était peut-être quelque chose qui allait... qui irait les
accrocher.
M.
Ciccone : Ça me va, madame. Merci
beaucoup, Mme la Présidente. Merci beaucoup.
Mme Deneault
(Audrey-Ann) : Merci.
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci, M. le député. Donc, Mme la députée de Hull.
Mme
Tremblay : Oui. Bonjour. C'est vraiment pertinent d'entendre votre
message, parce que, ce que vous nous dites,
on l'a entendu dans les écoles : souvent, là, la souffrance des jeunes qui
voudraient avoir l'attention de leur parent, mais malheureusement le
parent est sur l'écran; les jeunes qui voudraient que le parent sorte jouer
dehors, mais le parent est sur son écran. Il dit : Bien, il sort, puis là
le parent est sur son écran, tu sais. Donc, c'est vraiment un phénomène qu'on
constate, là, puis vous, vous l'avez constaté de par les travaux que vous
menez, donc qui a un impact chez les jeunes.
Dans les... parce que
vous travaillez dans le monde de la psychologie, est-ce qu'on... est-ce qu'on
commence à voir puis mettre en place des genres de thérapies familiales? Parce
qu'il y a... ça devient un problème, un enjeu qui n'appartient pas juste au jeune
qui est trop sur sa tablette, mais qui appartient aussi... puis qui a brisé un
certain équilibre, à quelque part.
Mme Deneault
(Audrey-Ann) : Je dirais qu'on n'est pas encore là. Puis c'est un
petit peu pour ça que je suis contente d'avoir l'opportunité de parler à la
commission, parce que je trouve que, dans la société tant que dans les travaux de recherche, on blâme beaucoup
les enfants. Puis on fait, par exemple, des thérapies pour les enfants, mais,
si on n'adresse pas l'enjeu un peu plus systémique, ça ne peut pas fonctionner
à long terme. Donc, je vous dirais que c'est encore limité à ce niveau-là.
Mme Tremblay :
Puis là vous avez parlé du
partage parental. Moi, c'est la première fois, là, que... qu'on... que
j'en entends... Bon, j'avais déjà vu des petites choses, mais là vous avez bien
ciblé l'enjeu. Mais on en parle peu au Québec, par rapport à ce que vous avez
dit, là, en France, qu'est-ce qui se fait, puis ça, nécessairement, là ça a des
conséquences qui sont... qui peuvent être majeures. Vous l'avez nommé, là. Vous
parlez de... tu sais, ça forge une personnalité à un... déjà à un enfant puis
ça peut avoir des impacts sur son développement.
Est-ce que vous iriez
à dire qu'on devrait faire des recommandations en lien avec ça puis dire que
c'est fortement déconseillé? Tu sais, là on est encore dans la prévention, puis
tout ça, mais est-ce qu'on devrait aller jusqu'à
dire que c'est... ça serait fortement déconseillé aux parents, justement, de
partager l'image en trop bas âge de leurs enfants? Puis, jusqu'à
300 fois, là, c'est quand même des chiffres qui sont... qui parlent, là,
ce que vous avez nommé.
Mme Deneault
(Audrey-Ann) : Moi personnellement, je pense qu'il y a lieu d'avoir
des recommandations, sans nécessairement déconseiller, d'au moins sensibiliser
à l'idée qu'il faut penser aux retombées pour l'enfant puis ce que ça pourrait amener, et, quand les enfants
sont plus vieux, aller chercher le consentement. Parce qu'il y a beaucoup
de parents... — je
pense que les statistiques, c'est 30 % — n'ont jamais demandé à leurs
enfants le consentement pour mettre leurs
photos en ligne. Quand leurs enfants sont... par exemple, ils ont 15 ans,
on s'entend qu'un enfant de 15 ans
pourrait te donner un consentement. Même à huit ans, il pourrait le faire. Ça
fait que je pense qu'il y aurait lieu de le faire. Surtout que... Parfois, on s'entend que les parents partagent
des photos qui peuvent être un anniversaire, des choses comme ça, mais
il y a aussi du matériel qui est sensible puis qui est régulièrement publié,
puis ça a vraiment des risques pour les jeunes au niveau de leur santé et de
leurs données.
Et, les chiffres en
France, j'ai essayé de vous les trouver pour vous, mais, dans les lois qui ont
passé en France par rapport à ça, ils disaient que 50 % du matériel qui
est pornographique est originaire d'un parent qui a mis en ligne. Ça fait que,
des fois, ça va être des parents qui vont mettre des enfants qui sont dans des
positions un petit peu, disons, inconfortables ou, tu sais, comme privées sur
un forum, en disant : Ah! est-ce que... Tu sais, il a quelque chose sur la
jambe. Est-ce que... C'est-tu un problème? Mais on voit l'enfant qui peut être
nu, par exemple. Ça fait que ça, c'est un côté extrême, là, que je vous dis.
Mais, pour revenir au
centre... à la centrale de l'identité, moi, je pense que, oui, il devrait y
avoir des recommandations qui sont faites de penser aux conséquences pour
l'enfant puis de ne pas en mettre trop. Tu sais, comme, une photo d'un anniversaire, ça va, mais 300, des fois, où... tu
sais, on voit des albums avec beaucoup de photos, ce n'est peut-être pas
nécessaire.
Mme
Tremblay : Oui. Bien, quand ils sont plus vieux, ils nous le
disent : Maman, tu ne peux pas mettre ça sur les réseaux sociaux. Ils nous
gèrent là-dessus. En tout cas, les miennes le font très bien, j'ai des
avertissements de ce côté-là. Mais, c'est vrai, quand ils sont jeunes, ils
n'ont pas... ils n'ont pas cette possibilité-là, de s'exprimer en lien avec ça.
Ce
que vous avez dit, là, sur les images, là, j'imagine que les parents, ils le
font mais sans vraiment être nécessairement conscients que ça va amener à ça,
évidemment, là, mais c'est quand même une réalité.
En terminant, la
majorité numérique, je ne sais pas si vous avez une expertise là-dedans, mais
est-ce qu'on devrait arriver avec une majorité puis faire en sorte que les
jeunes arrivent plus tard sur les réseaux sociaux?
• (14 h 20) •
Mme Deneault
(Audrey-Ann) : Je pense que c'est une bonne idée, mais je me
questionne toujours : En pratique,
est-ce que ça va fonctionner? Je vous dirais que c'est un peu mon inquiétude
par rapport à ça, parce qu'il y a des
façons, quand il y a des règles comme ça, de les contourner. Et parfois je sais
que certains sites, ils demandent, par exemple, une preuve d'identité, qu'on a
l'âge, mais, dans ces cas-là, je me questionne toujours par rapport aux données
des enfants qu'on mettrait peut-être sur les
plateformes de... tu sais, comme Meta, etc. Donc, je pense qu'il peut y avoir
du bon à ce que les enfants se joignent plus tard sur les réseaux sociaux. Je
ne pense pas que ça va nécessairement tout régler parce qu'il y a
d'autres formes de numériques et parce qu'en pratique je ne sais pas si ça va
fonctionner pour beaucoup de jeunes.
Mme
Tremblay : Parfait. Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : Je
trouve ça vraiment intéressant, ce que vous dites, parce qu'après une tournée d'écoles,
à la rencontre de plus de 500 jeunes, lorsqu'on parlait de la... des habitudes
des parents, je vous le dis, les classes
s'enflammaient, et d'autant plus que même les jeunes, eux autres mêmes, ne
publient pas de photos d'eux. Donc, je trouve ça très intéressant, là,
ce que vous rapportez.
Je passe maintenant
la parole à Mme la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme Cadet : Merci, Mme la Présidente. Effectivement, donc,
dans la tournée des écoles, on a beaucoup entendu la question des parents, des
jeunes qui... des préadolescents et adolescents qui voulaient passer plus de
temps avec eux.
Merci
pour votre exposé, Pre Deneault, donc, sur les questions, donc, de
mimétisme, de technoférence parentale et de partage parental sur les
réseaux sociaux.
Sur
la technoférence parentale, c'est un sujet dont j'avais brièvement entendu parler
auparavant, mais je pense que vous
avez amené, donc, des données supplémentaires extrêmement intéressantes pour
nous. Peut-être deux questions sur ce... sur cet aspect-là. Est-ce
que... Justement, dans vos études, vous avez une certaine, donc, recommandation
d'heures, hein, parfois. Vous avez... Enfin, je pense que vous avez suivi les
travaux de notre commission. Donc, on nous fait, donc, des recommandations du
nombre d'heures passées devant les écrans, selon la tranche d'âge, selon le
développement de l'enfant, du jeune, mais, pour les parents, justement,
considérant les impacts liés à la technoférence parentale et au mimétisme,
donc, que les enfants voudraient reproduire ces comportements-là, est-ce qu'il y a des recommandations que vous pensez qui
devraient être faites, en termes de nombre d'heures passées devant les
écrans, pour les parents?
Mme Deneault
(Audrey-Ann) : C'est sûr que c'est difficile de limiter le nombre
d'heures des parents parce qu'ils vont dire : Ah! parfois, c'est le
travail, d'autres raisons, ça fait que c'est pour ça que, des fois, ça pourrait
être pertinent. Mais je pense que les parents, ils devraient s'assurer qu'au
moins une partie de leur temps qu'ils passent avec leur enfant, chaque jour,
est sans écran. Et le nombre d'heures devient difficile, parce que certains
parents vont passer une heure, peut-être, avec leurs enfants, d'autres, quatre.
Donc, je pense que ce serait plus de s'assurer qu'une certaine proportion de
temps soit vraiment avec, disons, le téléphone dans une autre pièce
complètement, qu'on l'oublie puis qu'on soit vraiment concentrés. Ça fait que
je pense que ce serait plus au niveau de s'assurer que chaque jour, il y ait du
temps de qualité sans écran, je le mettrais peut-être un petit peu plus comme
ça.
Et je vous dirais,
par rapport à la notion d'âge, que c'est quelque chose qui est important à tous
les âges aussi, parce que, je le dis en tant qu'adulte, souvent, là, si votre
conjoint ou conjointe fait de la technoférence, parce que ça se peut aussi dans
les relations de couple, on sait que c'est frustrant aussi. Mettons que... que
l'enfant ait quatre ans, que l'enfant ait 14 ans, je pense que c'est un
phénomène qui est quand même très frustrant, comme vous l'avez entendu dans
beaucoup d'écoles.
Mme Cadet : Oui.
Aussi, lors de la première phase de consultations, donc, certains intervenants,
il n'y avait pas nécessairement unanimité là-dessus, là, mais certains intervenants faisaient la
distinction entre le nombre d'heures passées devant les écrans de façon
ludique et les autres, donc pour le travail ou... ou, en fait, surtout dans le
contexte scolaire, là, pour l'école, donc à des fins éducatives. Donc, vous, si
j'ai bien compris ce que vous nous avez exposé, l'impact sur la santé mentale
de l'enfant, au niveau de la technoférence parentale, ça, ça ne fait aucune
différence, là, que le parent soit lui-même devant Fortnite ou qu'il soit en
train de travailler, là.
Mme Deneault
(Audrey-Ann) : Non, c'est ça. Pour l'enfant, ça reste le fait qu'il
n'est pas une priorité dans ce moment-là puis que le téléphone ou le... peu
importe ce que c'est, est plus important qu'eux. Mais une petite nuance que je
vais faire aussi par rapport aux écrans... Vous disiez «façon ludique», «travail».
Une chose qui peut être utile, c'est quand même les parents et les enfants qui,
par exemple, écoutent un film ensemble ou une émission. Ça, dans la
littérature, on distingue ça parce que, souvent, ça devient des opportunités de
connexion, donc, si on voit quelque chose d'intéressant : Ah! tu as-tu vu?
Ça, ça ressemble à x personne qu'on a vue. Donc, ça, c'est quelque chose
qui serait différent. Mais, si c'est un parent qui est vraiment sur son
téléphone, peu importe ce qu'il fait, il n'est quand même pas avec son enfant.
Son enfant ne se sent pas regardé, si on peut dire, dans ce moment-là.
Mme Cadet : Merci.
Dernière question ici. On a entendu aussi parler, au niveau du développement
des enfants, de l'impact du nombre passé devant les écrans au niveau de la
gestion des émotions, et là je me demandais si... c'est parce que... En fait,
on parlait, donc, de cinq à six heures par jour que des jeunes adultes peuvent
passer devant les écrans. On sait que, les adultes aussi, là, ça peut
ressembler à ça, le nombre d'heures. Est-ce qu'il y a un certain impact au
niveau de la gestion des émotions? Ce que je pense qu'on nous parlait, donc,
les parents, au niveau de la technoférence parentale, bien, ça peut avoir une
incidence sur la patience avec les enfants. Ça fait que je me demandais si ce
lien-là, il avait été fait dans la littérature.
Mme Deneault (Audrey-Ann) : Oui,
absolument. Ce lien, il est quand même bien établi, malgré le fait que c'est
une littérature qui est quand même jeune. Ça démontre que les parents, souvent,
deviennent plus fâchés quand les parents... les enfants s'adressent à eux. Ça
fait que, si, par exemple, un enfant demande plusieurs fois l'attention, le
parent est absorbé, bien, quand, une fois... le parent va déposer son téléphone,
bien, il va être moins, comme vous le
disiez, patient. Ça va être plus comme : Qu'est-ce que tu veux, là? Ça va
aller plus dans... directement dans une émotion négative. Ça fait que
c'est... ça peut avoir des effets sur la régulation émotionnelle, tant des
enfants que des parents.
Mme Cadet : Vraiment intéressant.
Est-ce que j'ai le temps pour une dernière, Mme la Présidente?
La Présidente (Mme Dionne) : Une
dernière.
Mme
Cadet : Merci beaucoup. Au niveau du partage parental sur
les réseaux sociaux, vous nous avez beaucoup... en fait, vos recommandations portaient sur le... sur les campagnes de
sensibilisation. Au-delà de ce type de campagne là, est-ce qu'il y a des
juridictions qui l'encadrent ou, disons, qui encadrent plutôt, donc, les
plateformes elles-mêmes pour s'assurer que,
bon... Par exemple, la plateforme pourrait demander aux parents le
consentement. Je donne un exemple comme ça, là. Mais est-ce que ce...
cet encadrement-là existe ailleurs?
Mme Deneault (Audrey-Ann) : Je pense
que l'encadrement, présentement, se fait davantage au niveau du droit de l'enfant à être oublié, donc de demander
aux plateformes de retirer les... ce qui est «posté» ou mis en ligne par les
parents, qui est déjà bien, parce qu'actuellement les lois canadiennes ne sont
pas superbonnes à cet effet-là. Donc, les
enfants peuvent demander, si je ne me trompe pas, jusqu'à 18 ans, d'être
retirés, mais, après 18 ans, ils ne peuvent plus le demander. Donc,
c'est un peu spécial, où, tu te dis, quand l'enfant a peut-être un peu plus la
capacité de penser à ça et de réfléchir à son identité numérique encore plus,
bien, à ce moment-là, ils ne peuvent plus demander le retrait de leurs
informations. Donc, je pense qu'à date c'est davantage à ce niveau-là, au niveau
des lois. Mais il pourrait certainement y avoir un encadrement, surtout par
rapport à certaines photos qui sont peut-être un peu soit sensibles ou dans des
contextes honteux pour l'enfant.
Mme Cadet : Merci beaucoup, Pre
Deneault. Merci, Mme la Présidente.
Mme Deneault (Audrey-Ann) : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
Maintenant, la... Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques.
Mme Massé : Oui. Merci. Bonjour.
Merci beaucoup pour votre présentation. C'est intéressant de voir
l'interpellation que vous faites, en fait, d'une forme de cohésion. Vous nous
interpelez à la cohésion, à la cohérence. C'est-à-dire que, oui, on peut bien
se préoccuper des enfants parce que c'est préoccupant, mais, puisque l'enfant
apprend principalement par imitation, il y a, veux veux pas, une autre
dimension qu'il faut qu'on questionne, qu'il faut qu'on regarde. De là à
légiférer, c'est une autre paire de manches, je suis d'accord avec le député de
Marquette. Mais, ceci étant dit... Et d'ailleurs le docteur, le pédiatre
Saint-Pierre, de mémoire, oui, qui est venu un peu en amont ce matin, disait clairement qu'il y a la nécessité
que la communauté soit impliquée dans cette volonté de prendre soin de nos
enfants face à la question des écrans.
Ce que je trouve intéressant, c'est que vous
amenez une dimension très spécifique, qui est le temps d'écran des parents. Alors, je vais commencer par la
campagne de sensibilisation. Vous n'êtes pas la première qui en faites état, mais vous allez loin, hein? Vous allez
quasiment... il faut... il faut peut-être les shaker, je prends mes mots, vous
n'avez pas dit ça de même, mais, tu sais, comme créer un éveil, un éveil
que tu ne peux pas demander à tes enfants ce que toi-même, tu ne peux pas
faire. Alors, je trouvais ça intéressant. C'est une dimension...
Mais j'avais envie... je ne sais pas si vous
avez... ça me surprendrait, là, mais vous avez fait état de la question de
la... la raison pour laquelle les parents sont sur leurs cellulaires. Et une de
ces raisons-là, c'est bien sûr le travail, l'exigence des employeurs que tu
nous répondes à toute heure du jour, et tout ça. Là-dessus, est-ce que vous êtes au courant s'il existe, à travers le monde,
des droits à la déconnexion, si on peut dire, par rapport aux employeurs?
Est-ce que c'est des choses qui existent?
Mme Deneault (Audrey-Ann) : Je sais
qu'il y a des initiatives qui sont lancées. Je sais que le député d'Hochelaga-Maisonneuve
avait d'ailleurs fait un projet de loi à cet effet. Je pense qu'il y a des
initiatives, mais souvent les compagnies ne sont pas nécessairement forcées,
après, d'établir, par exemple, un plan et de... que leurs employés n'aient pas
à répondre à leurs courriels après 5 heures.
Je pense qu'il y a aussi
une culture plus large, là, on va un petit peu au-delà de la commission, mais
de productivité dans notre société, qui fait en sorte que, même si on a un
droit à la déconnexion, parfois, pour avancer, les gens sentent qu'il faut
peut-être qu'ils en fassent le soir quand même pour réussir à aller de l'avant.
Donc, je pense qu'il y a quand même lieu, peut-être, de renforcir ce droit-là,
qui est autant pour les enfants, les écrans, mais juste... de façon générale,
les parents qui passent plus de temps avec leurs enfants, bien, c'est une bonne
chose. S'ils peuvent avoir le temps d'aller dehors, d'aller au cinéma, de faire
des activités, ça peut être quelque chose qu'on veut promouvoir, grâce à un
droit à la déconnexion, par exemple.
• (14 h 30) •
Mme Massé : C'est intéressant. C'est
comme un... Ce n'est pas la baguette magique, on s'entend, mais c'est comme un élément qu'on ne peut pas fermer les
yeux, parce que, justement, ça prive du temps de présence qui... là-dessus,
vous semblez être assez d'accord, tout le monde.
Je reviendrais aussi sur la question de... parce
que ça a été évoqué ce matin très clairement, comment, chez les enfants, le
temps d'écran contribue à développer toutes sortes d'enjeux, de défis, dont
notamment au niveau de la santé mentale et des troubles de comportement. Est-ce
que vous partagez aussi cette analyse-là?
Mme Deneault (Audrey-Ann) : Oui.
C'est ce que la littérature dit. Il y a eu des méta-analyses qui ont été
faites. Donc, ils ont fait des synthèses de plusieurs études à travers le
monde, et il y a des associations qui sont claires à ce niveau, selon moi.
Mme Massé : O.K. Il y a eu
d'ailleurs, ce matin, une recommandation. C'étaient les médecins spécialistes
qui venaient nous dire qu'il faut même songer à développer des mécanismes pour
contrer les propagations de fausses informations ou, je dirais même, là,
contrôler un peu plus les... «bloquer», qu'ils disent, c'est leur mot, les
contenus à caractère sexuel violent justement parce que ça imprime. Vous, comme
psychologue, est-ce que vous pensez aussi que c'est quelque chose d'important?
Mme Deneault (Audrey-Ann) : Oui. Je
pense qu'il y a beaucoup de contenu en ligne qui peut avoir des retombées néfastes
pour les enfants. Ça, c'en fait partie. Il y a aussi beaucoup de discussions
par rapport aux jeunes filles qui voient des images qui peuvent être difficiles
à atteindre puis l'impact sur l'estime de soi. Ça fait que ça, c'est aussi
quelque chose qu'on voit beaucoup. Donc, je pense qu'il y aurait lieu,
certainement, de voir ce qui peut être fait par rapport au contenu en tant que
tel, parce qu'il reste que, même si on met des recommandations en place de pas
de temps d'écran, par exemple, bien, on sait qu'elles ne seront pas toujours
suivies. Présentement, il y en a, et les
enfants sont quand même beaucoup sur les écrans. Ça fait que c'est bien d'avoir
une approche, selon moi, qui est à plusieurs niveaux. Comme ceci, au moins, ils
sont sur les écrans, mais on peut aller limiter ce à quoi ils sont exposés.
Mme Massé : Bien, j'aurais comme
juste une dernière question, parce que vous en avez un peu fait état,
c'est-à-dire que c'est sûr qu'on se bat contre des... «on se bat»... en tout
cas, c'est mon sentiment, contre des grosses machines, hein? Tu sais, ici, on
parle des GAFAM, notamment, et c'est clair que, si on veut agir, on n'a pas le
choix, à un moment donné, de devoir faire en
sorte de contraindre... Vous avez parlé de l'identité, par exemple, dire :
O.K., on a une identité juridique, comment je le démontre, bien, je le
démontre en démontrant mes informations personnelles. On va donner ça à Meta?
Bien, voyons donc! Alors, vous soulevez vraiment de belles questions.
Mais je reviens encore aux médecins spécialistes
qui, eux, disaient «incitez». D'ailleurs, s'ils avaient pu, ils auraient dit «obligez», ça, c'est ma
compréhension, mais ils ont dit «incitez». On a peur de s'asseoir devant ces
grands conglomérats là, les grandes plateformes... à agir de telle x
affaire. Est-ce que vous croyez que, si on allait, si on allait vers une identité, il va falloir... on
n'aura pas le choix, cette fois-là, de forcer les grandes plateformes à
protéger les renseignements personnels?
Mme
Deneault (Audrey-Ann) : Oui, bien, je pense que, si ça va dans cette
direction-là, il faudrait absolument qu'il
y ait cette composante-là de
s'assurer que les données soient vraiment protégées, parce que c'est des
compagnies qu'on sait qui font beaucoup de choses en secret, disons-le,
et je ne voudrais pas que les données personnelles de nos enfants, de nos
jeunes, surtout si on parle de, justement, juridique, soient encore plus
détenues par ces compagnies-là qui... Il
faut le dire, tout le partage parental, c'est quand même ces compagnies-là, à
la fin de la journée, qui ont les droits vers les photos des parents
aussi. Donc, il y a quand même déjà un certain caractère qu'il faudrait
peut-être voir par rapport aux droits des enfants à ce niveau-là, mais, si on
va dans le juridique, il faudrait que ça fasse partie...
Mme Massé : Bien, je vous remercie
beaucoup. C'est vraiment gentil.
Mme Deneault (Audrey-Ann) : Merci.
Mme Massé : Bonne fin de journée.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci,
Mme la députée. Mme la députée d'Iberville.
Mme Bogemans : Merci, Mme la
Présidente. Moi, comme vous êtes psychologue... Puis je sors un petit peu de ce que vous avez présenté, mais je fais aussi
un lien avec ce que les médecins spécialistes nous ont dit sur la perception
de sécurité de nos
enfants. C'est-à-dire que, quand ils jouent à l'extérieur, grimpent dans un
arbre, font de la trampoline, font du
vélo, bon, il arrive un accident... ou même peut accompagner... moi, je viens
d'une ferme, là, les accompagner... les enfants qui nous suivent, sur la
ferme, jusqu'à un certain niveau, s'il arrive un accident, bien, ça peut être
grave. Puis, si on va à l'hôpital puis que,
par exemple, sur la ferme, il y a une blessure avec un enfant, ça peut
facilement monter à la DPJ,
dire : Qu'est-ce que l'enfant faisait sur les lieux du travail? La gravité
d'un accident physique à l'extérieur...
Il y a quelque chose qui est profondément ancré
dans notre société, on a l'impression que, quand les enfants sont sur leurs
écrans, ils sont plus en sécurité parce qu'on les voit. Ils peuvent ne pas se
faire enlever. Ils ne peuvent pas se blesser. Mais on voit à quel point ça peut
être dévastateur sur la santé mentale. Je pense que, si on travaille sur cet axe-là, on va être capables de faire cheminer
la société, mais, pour ça, ça prend un... sans dire aux parents, comme
le député de Marquette disait, ce qu'il faut faire, mais, quand même, une
certaine gravité à l'ampleur...
Est-ce que c'est justement le manque de
connectivité parent-enfant? Est-ce que c'est le nombre d'heures que tu ne
passes pas ou que tu es en présence de ton enfant et que tu es non disponible
parce que tu es sur un écran qui pourrait être quantifié comme n'étant pas
correct? Tu sais, ça prend une certaine notion... C'est ce que je veux dire. C'est pour ça que je parlais, par exemple, d'un
accident, un enfant qui joue à la ferme, qui se blesse puis que ça monte
jusqu'à la DPJ. Est-ce qu'il n'y aurait pas
une façon de mettre une sanction grave ou une façon de le normaliser, de le
quantifier dans notre société pour être capable de sensibiliser sur le
potentiel risque? Merci.
Mme Deneault (Audrey-Ann) : Merci.
Une première chose que je voudrais dire, c'est que j'ai parlé beaucoup des risques de santé mentale, mais il y a
aussi des risques au niveau de la santé physique, de la technoférence.
Des fois, on n'y pense pas, mais il y a beaucoup d'études qui font état du fait
qu'il y a plus de blessures auprès des enfants. Quand les parents, bien,
évidemment, ils sont sur leurs téléphones, ils ne voient pas que les enfants se
mettent dans des situations risquées. Je pense que ces situations-là, par
exemple, à l'urgence, par exemple, sont juste vues comme étant : Ah! bien,
il y a eu un accident. Et là ça ne fait peut-être pas le même cheminement, si
on veut, qu'un problème, mais, au niveau de quantifier, selon moi, c'est au
niveau de la connexion, oui. Ça fait que, s'il y a une façon de quantifier...
On parlait du nombre d'heures. Il y a aussi, peut-être, le... si on voit
carrément le nombre de fois que tu es distrait. Ça fait que peut-être que ça,
ça serait une métrique qui serait plus utile pour les parents, de penser... Si
tu as été distrait comme quatre fois dans une heure pendant que tu interagis
avec ton enfant, c'est beaucoup. Tu sais, si on y va de ce niveau-là, ça
pourrait peut-être être une approche qui est intéressante, quoique je ne sais
pas si ça a été utilisé jusqu'à présent, mais, si on veut aller chiffrer
vraiment...
Mme Bogemans : O.K., parfait. Puis,
au niveau de la sensibilisation des parents, j'ai cru comprendre que vous
voulez vraiment miser sur, dans le fond, grossesse, cours prénataux, arrivée du
bébé, là, pour vraiment instaurer dès le départ des bonnes habitudes puis
d'être certain que c'est le meilleur moment. Puis, comme on est quand même dans
une génération... Comme vous l'avez dit, là, les parents eux-mêmes ont utilisé
les écrans, sont exposés. Est-ce qu'on pourrait se servir de la force des
jeunes, le 60 % des préados qui veulent que les parents baissent l'usage,
comme étant des ambassadeurs auprès de leurs parents pour sensibiliser? Est-ce
qu'il y aurait une façon de tourner une campagne de sensibilisation dans ce
sens-là?
Mme Deneault (Audrey-Ann) : C'est
une très bonne idée. En effet, je pense que travailler en jeune âge, ça permet
juste d'établir des bonnes habitudes. Ça fait que c'est pour ça que j'en parle.
Puis, aussi, on sait que des jeunes... par exemple, lors de l'allaitement,
c'est 50 % du temps, je pense, que les parents sont... bien, les mères
sont sur leurs téléphones. Ça fait que ça commence très tôt, mais, comme vous
disiez, peu importe l'âge, c'est quelque chose qui est très important, que ce
soit à l'adolescence ou plus jeune, disons, à l'âge scolaire. Je pense que ce
serait très intéressant d'avoir une campagne avec les enfants. Il faudrait
juste faire attention de trouver une façon que ça ne devienne pas un conflit à
la maison. Donc, si un jeune, par exemple, commence à dire : Bien là, on
m'a dit à l'école que ce que tu fais, ce n'est pas correct, là, ça pourrait
virer un petit peu en conflit. Ça fait qu'il faudrait trouver un angle
d'approche, mais, vous avez raison, les jeunes, ça les dérange, cette
situation-là, comme vous en avez fait état dans les écoles.
Mme Bogemans : O.K. Merci beaucoup.
Mme Deneault (Audrey-Ann) : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : M. le
député de Marquette.
M.
Ciccone : Merci beaucoup. Je suis persuadé que vous avez vu,
en novembre dernier, là, l'article qui parlait des écrans et des difficultés
d'apprentissage. On voyait des jeunes arriver en maternelle pas capables
d'attacher leurs lacets, n'étaient pas propres, pas capables de peler
une banane. Puis vous nous avez fait état aujourd'hui, là, de la problématique
et du pourquoi qu'on pouvait arriver là avec nos enfants.
Maintenant, en étant une spécialiste dans le
domaine, qu'est-ce qu'on fait pour arrêter l'hémorragie? Vous l'avez bien
expliqué, mais comment est-ce qu'on fait pour ramener nos enfants à un niveau
normal? Puis je ne parle pas de tous les enfants, là, mais les enfants dont on
fait référence ici, là, parce que, là, il nous faut quelque chose pour
ramener... et, s'il y a des parents qui nous écoutent aujourd'hui, là,
qu'est-ce que vous leur dites?
• (14 h 40) •
Mme
Deneault (Audrey-Ann) : Bien, c'est un très bon point, puis c'est
aussi particulièrement important en sortant de la pandémie, je pense, parce
qu'il y a beaucoup de jeunes qui ont fait l'école à la maison. Donc, on parle des écrans qui causent problème, par exemple, mais
eux, ils ont eu à l'utiliser dans leur vie de tous les jours. Donc, je pense
qu'il faut mettre l'emphase sur...
Premièrement, bien,
vous avez vu beaucoup d'enseignants. Donc, à l'école, il faut qu'il y ait
peut-être un rattrapage qui est fait à ce
niveau-là, et parfois aussi penser, dans les écoles, aux messages qu'on envoie,
parce que, là aussi... je n'ai pas été là-dedans, mais il peut y avoir
de l'incohérence par rapport aux écrans, où on fait travailler les enfants
toute la journée sur un écran quand on leur dit de ne pas prendre des écrans,
et miser aussi sur les connexions sociales, je pense, les relations sociales
entre les jeunes, leur donner des opportunités de socialiser avec leurs
parents, avec leurs amis, collègues, parce que c'est vraiment à travers des
relations sociales aussi qu'ils vont pouvoir se développer puis parfois réussir
à rattraper. On sait que la compétence sociale, par exemple, ça prédit beaucoup
de bienfaits à long terme. Ça fait que je
pense que ce serait peut-être un angle qui est peut-être plus facile d'approche
que de dire : On va rajouter un mois d'école cette année pour que
les jeunes puissent rattraper.
M.
Ciccone : Merci beaucoup, merci beaucoup.
Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Dionne) : Est-ce
qu'il y a d'autres interventions? Oui, Mme la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme Cadet : Oui,
merci. Merci, Mme la Présidente. Pre Deneault, je me demandais : Est-ce
que vos travaux ont aussi porté sur l'utilisation des écrans de la part des
enseignants? Parce qu'on a beaucoup parlé d'interdiction du cellulaire à
l'école en disant... et on a visité, donc, plusieurs écoles où, donc, dans
certains cas, donc, il y avait cette interdiction-là de la part des élèves, et
souvent, donc, les élèves nous envoyaient le message qu'ils trouvaient... en fait, qu'ils avaient l'occasion, donc, de tisser
beaucoup plus de liens les uns avec les autres, de préparer leur bal des
finissants.
Donc, ils
appréciaient cette expérience-là, mais aussi, parfois, ils nous disaient :
Bien, il y a une certaine incohérence parce que, bon, nos enseignants, eux,
dans les pauses, eux, ils ont l'occasion de pouvoir utiliser leurs téléphones
cellulaires. Donc, est-ce que vous, vous avez vu... vous avez étudié... ou dans
la littérature que vous avez observée, il y
a des questionnements sur l'impact que ça pourrait avoir, donc,
sur les élèves d'avoir cette dichotomie-là entre leur propre utilisation
des écrans puis les adultes autour d'eux, au-delà de leurs parents?
Mme Deneault
(Audrey-Ann) : Ce n'est pas quelque chose que j'ai étudié moi-même,
mais, de façon générale, on sait que, les jeunes, les incohérences ou les
injustices, ça leur parle beaucoup. Donc, c'est certain que, si eux, ils n'ont pas le droit, mais leurs
enseignantes ont le droit, ils vont se demander : Pourquoi est-ce que
c'est si grave pour moi mais pas pour eux? Je pense qu'ils savent que ce
n'est pas juste eux, justement, qui passent des heures et des heures sur les téléphones. Donc, ce n'est pas
facile, encore une fois, d'intervenir peut-être au niveau des enseignantes,
puis il y aurait peut-être des gens qui seraient un peu moins contents s'il y
avait, par exemple, des règles qu'eux, ils n'ont
pas le droit pendant les pauses, mais je pense qu'il y a peut-être lieu, devant
les jeunes, de ne pas mettre dans leur visage qu'eux, ils ont la
permission quand les jeunes ne l'ont pas.
Mme Cadet : Oui, je vous entends. Il n'y a pas encore de
littérature à ce sujet-là. C'est inexistant pour le moment.
Mme Deneault
(Audrey-Ann) : Pas à ce que je sache, parce que c'est quand même
nouveau qu'il y a eu, à la fin, si on veut,
des téléphones dans les écoles, là. Au Canada, par exemple, c'est dans les
derniers mois que ça s'est vraiment mis en branle. Donc, oui...
Mme Cadet : Merci
beaucoup.
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci beaucoup pour votre intervention à ces travaux.
Donc, pour ma part,
je suspends les travaux quelques instants pour accueillir notre prochain
témoin. Merci beaucoup et au plaisir.
(Suspension de la séance à
14 h 44)
(Reprise à 14 h 48)
La
Présidente (Mme Dionne) : La
commission reprend maintenant ses travaux. Donc, je souhaite maintenant
la bienvenue au Dr Jean-François Chicoine. Donc, bonjour,
M. Chicoine. Merci d'être avec nous cet après-midi. Alors, je vous
rappelle, vous disposez de 10 minutes pour vous présenter et nous faire
part de votre exposé, et par la suite on va procéder à une période d'échange
avec l'ensemble des membres de la commission. Alors, la parole est à vous.
M. Jean-François Chicoine
M. Chicoine (Jean-François) : Bonjour.
Mon nom est Jean-François Chicoine. Je suis pédiatre à Sainte-Justine
depuis 40 ans, oui. Je me suis toujours intéressé à plein d'aspects de la
pédiatrie, notamment à tous les aspects de l'éducation, de la parentalité.
J'enseigne à l'université les liens parent-enfant, l'attachement enfant-parent.
Donc,
évidemment, l'écran, qui devient une habitude partagée dans les familles, est
quelque chose qui a une incidence énorme, bien, sur mon travail et sur les
familles. Je me suis particulièrement intéressé au sujet avec mes étudiants à l'Université de Montréal ou
avec les groupes de parents. J'ai aussi préfacé le prochain livre de Jonathan
Haidt en français, Anxious Generation, que vous avez probablement
lu dans sa version anglaise, certains d'entre vous. J'ai aussi travaillé un peu
sur la pornographie en ligne avec la sénatrice Julie Miville-Dechêne pour
essayer de participer au bill qu'elle avait présenté au gouvernement l'année
dernière. Et évidemment, aussi je m'intéresse beaucoup à la télévision, aux
images, aux écrans depuis toujours. C'est aussi une partie de mon travail.
Alors, rapidement, je
vais essayer de faire, en quelques minutes, le tour d'horizon de l'influence
des écrans dans le développement des enfants et dans l'harmonie de leurs
familles. Alors, pour avoir revisé beaucoup les écrits sur le sujet, les écrans
ont déjà de l'influence pendant la grossesse. Il y a des mamans qui en
consomment trop et qui peuvent devenir un
peu plus anxieuses avec ça et d'autres qui peuvent, au contraire, être
soulagées, mais on n'a pas de recommandation officielle à faire
là-dessus, sauf que l'abus d'écran pendant la grossesse, il y a des liens
maintenant avec l'augmentation des symptômes
de dépression postpartum, et tout, mais rien qu'on puisse valider dans le
pratico-pratique, pour nous, les intervenants.
• (14 h 50) •
Par contre,
l'utilisation des écrans, je me suis beaucoup exprimé là-dessus ces dernières
années, lors du boire, que ce soit l'allaitement ou le boire par quelconque...
a un effet extrêmement détériorant sur la santé des enfants. Alors, je vous
rappelle que, dans les premiers mois de vie, les bébés regardent l'adulte qui
leur donne à boire à peu près le deux tiers du temps. C'est comme ça qu'ils
fixent leur attention, qu'ils fixent leur sécurité affective. Ils commencent à
s'apercevoir qu'il y a un plein, un manque. Cette alternance entre le plein et
le manque est hyperimportante et donne des éléments d'anticipation et de désir
au bébé. On s'est aperçu qu'une personne sur cinq à une sur deux maintenant
détourne complètement le regard, ce qui est très difficile pour le bébé, de ne
pas réussir à séduire l'adulte, et ce qui lui permet, en fait, de détourner le
regard.
Beaucoup de liens
d'insécurité affective sont de plus en plus mis de l'avant suite à cette
situation-là, et on s'aperçoit, à quatre, cinq ans, les bébés qui regardent un
peu dans le vide et qui n'apprennent pas à regarder dans les yeux de leurs
parents. Je vous rappelle que c'est le «downloading» de l'information des
parents dans le lobe orbitofrontal et dorsolatéral de l'enfant qui lui permet,
en fait, de croire au monde et de tranquillement se sécuriser jusqu'à l'âge de
trois, quatre mois, à partir du moment où il découvre un peu mieux le milieu.
Donc, je pense qu'il sera important de dire dans les guides de parents, dans
les maternités, pour les infirmières visiteuses : Il ne faut pas utiliser
de cellulaires et fermer les sonneries et les messageries lorsqu'on est en
train de faire boire un petit bébé.
Entre l'âge de zéro
et trois ans, les écrans, aux États-Unis puis en Europe, c'est différent.
L'Académie des sciences, en France, l'association
des pédiatres ambulatoires, Boris Cyrulnik même, aussi, ne préconisent aucun
écran avant l'âge de trois ans, plusieurs auteurs intelligents,
intéressants, pas d'écran avant cinq, six ans. Aux États-Unis, ce n'était pas
avant deux ans, et la Société canadienne de pédiatrie a suivi le deux ans.
Avant l'âge de trois ans, un enfant ne doit absolument pas profiter d'aucun
écran. L'enfant, il se développe dans le réel, en trois dimensions, et il se développe aussi en synchronie. Donc, nous
sommes actuellement en synchronie. Il ne se développe pas d'une manière
décalée.
Donc, très
clairement, les études au niveau du développement sensoriel, perceptif et
moteur sont très claires. Les enfants qui regarderaient une heure ou deux
d'écran, que ce soit télé, tablette, télévision, ou téléphone, vont se
développer beaucoup plus lentement que les autres, et vont avoir plus de
maladresse motrice, et éventuellement des problèmes d'apprentissage, parce
qu'on sait que le développement moteur est aussi relié au développement des
mathématiques, par exemple, et de la mémoire. Donc, au niveau sensorimoteur,
c'est assez délétère, mais les études sont
très claires aussi au niveau cognitif. Les bébés qui regardent trop de
télévision, qui regardent une heure ou deux d'images avant l'âge de
trois ans, et de téléphone aussi, ça vaut aussi pour les téléphones et les
tablettes, vont se développer cognitivement beaucoup plus lentement que les
autres, vont avoir plus de problèmes de mémoire et éventuellement plus de
problèmes à l'école rendus au primaire. Le langage est aussi quelque chose qui
est très bien décrit. Il y a une nouvelle
étude australienne, qui date de 2024, qui montre qu'un enfant, à l'âge de deux
ans, qui est exposé à des écrans va apprendre à peu près six mots de moins à la
minute. Donc, ça a des effets sur la syntaxe, sur le français, sur le phrasé.
Et évidemment les
effets sont énormes au niveau social. L'enfant a de la difficulté à croire que
c'est dans la relation humaine qu'il peut
être apaisé. Et d'ailleurs il ne réussit pas à être parfaitement apaisé par des
parents qui sont de plus en plus pris sur des téléphones ou sur d'autres
appareils. C'est la notion de «distracted parenting», de parentalité
distraite, qui commence à être mise de l'avant et elle-même dénoncée par
beaucoup de groupes de parents qui considèrent
qu'ils utilisent trop leurs téléphones avec des petits enfants en bas de l'âge
de trois ans. Au Québec, on pense que c'est à peu près... Les enfants vont
faire à peu près une heure à 1 h 30 min d'écran malgré les
recommandations, et surtout les enfants nouvellement arrivés, de
familles défavorisées ou les familles monoparentales.
Entre l'âge de trois
à six ans, l'écran, le problème, c'est beaucoup qu'il va remplacer le jeu
libre. On sait que l'imagination des enfants se développe beaucoup, beaucoup
avec rien, presque avec du rien de leur part. Trois heures par jour, les enfants doivent jouer librement.
Donc, on essaie beaucoup de les surstimuler maintenant et, en même temps,
on les met sur des appareils pour les stimuler de plus en plus. On sait que ces
appareils-là ne vont pas les stimuler. Comme les vieux vidéos, Einstein ne les
rendait pas plus intelligents. Donc, il est hyperimportant de montrer que les
écrans à cet âge-là ont un effet délétère.
Alors, il n'y a pas
de raison, selon moi, de les utiliser dans les CPE. Et on a aussi introduit les
écrans dans à peu près le deux tiers des maternelles au Québec. Alors, comme
les enfants, déjà, regardent, surtout dans les familles défavorisées de Montréal, deux à trois heures d'écran par jour à cet
âge-là, selon moi, il n'y a pas de raison de les mettre en maternelle,
et puis il faudrait pouvoir intervenir là-dessus.
Le
problème des écrans et des tablettes en classe de trois à six ans... Je
suis à Sainte-Justine en ce moment. Je viens de sortir de l'ascenseur, et tout
le monde utilisait des écrans pour calmer les bébés. C'est que, déjà, on leur
donne une habitude d'écran et l'habitude d'être calmés par un objet qui est
extérieur à eux. C'est ce qu'on appelle l'effet «bottom-up», donc du ventre au
cerveau, qui fait que, de plus en plus, les rages, les colères des bébés vont
devoir être répondues par un élément externe. Or, une nouvelle étude, qui a été
faite ici, à Sainte-Justine, par Mme Pagani, vous avez peut-être entendu,
qui... montre que l'utilisation des tablettes pour calmer les bébés à l'âge de
trois ans va les rendre encore plus agressifs et encore plus colériques à l'âge
de cinq, six ans.
Vers l'âge de six
ans, la situation se complique beaucoup à cause des habitudes de vie. Alors, on
entend souvent dire, au Québec, qu'il y a de plus en plus de problèmes de santé
mentale. Peut-être, mais je trouve qu'on a de plus en plus de problèmes de
santé développementale et d'habitudes de vie. Alors, entre l'âge de six à
12 ans vont s'étioler énormément d'habitudes de vie à cause du temps pris
par les écrans, entre deux et trois heures par jour d'écran pour les moins de
10 à 12 ans, et on va aller vers trois, quatre heures à huit heures par
jour, dans les cas les plus pathologiques, pour les plus de 12 ans.
Donc, ces deux,
trois, quatre heures là, elles viennent prendre la place de plein de choses,
premièrement, du jeu, du jeu extérieur, donc
de l'activité physique, qui est en forte diminution surtout chez les filles.
Elles viennent... Elles amènent les
enfants vers la sédentarité, donc vers une prise de poids, qui est assez énorme
depuis les 10, 20 dernières années. Elles augmentent la myopie,
puisque les enfants sortent de moins en moins à l'extérieur, sont de plus en
plus sur des jeux à l'intérieur. Elles
diminuent le sommeil. Dès l'âge d'à peu près sept, huit ans, les enfants comme...
perdent une heure de sommeil par jour, pour se retrouver avec
1 h 30 min par jour en moins vers l'âge d'à peu près
12 ans, à cause notamment, bien,
de l'utilisation des écrans dans les chambres à coucher et de différentes
choses, alertes ou obsession pour l'appareil qui est dans la chambre.
Donc, c'est
hyperimportant de comprendre qu'il y a aussi des séparations de la nature qui
se font de plus en plus avec les enfants, et l'impossibilité de jouer à des
jeux à risque, des jeux très corporels, qui commence à prendre de plus en plus
de place.
Les écrans, à cet
âge-là, entre six et 10 ans, c'est aussi beaucoup une introduction à une
certaine violence. Comme vous le savez, non, la télévision violente ne rend pas
plus violent, mais donne une ambiance éventuellement amorale ou immorale, qui
est énormément surlignée dans la plupart des jeux vidéo. Les jeux vidéo ont
l'effet un peu de la fumée passive sur les
enfants. Donc, il y a une culture immorale, une culture de la violence qui
s'installe et qui met surtout à
risque les enfants de milieux défavorisés, qui auraient déjà des troubles
affectifs, des troubles de comportement, et qui sera... et qui seraient surtout isolés d'une quelconque façon, et
qui auraient aussi plus de troubles développementaux déjà. Donc, on a
besoin d'une signalétique urgente, là, pour les jeux vidéo, pour dire qu'à tel
âge ce n'est pas très bon de regarder Call of Duty, surtout à sept, huit
ans, que ceci peut amener éventuellement à cela.
Importance... Les
jeux, comme vous le savez, c'est deux, trois heures de jeu, mais, rapidement,
les jeux ont été conçus pour en faire des outils de marketing. Donc, de joueur,
l'enfant passe graduellement à consommateur avec de l'argent qu'il doit mettre
éventuellement pour pouvoir avoir des habits et progresser dans certains jeux
vidéo. Or, comme vous le savez, la «gamification» des jeux est faite en
fonction de garder les jeunes joueurs sur place. Alors, il y en a qui restent une heure ou deux, et la
consommation devient parfaitement raisonnable. Ça leur donne aussi du plaisir
et des occasions de faire quelque chose. Mais, rapidement, quand on tombe dans
le trois, quatre heures par jour et que ceci prend la place des activités de
repas, de boire, etc., évidemment, la consommation des jeux vidéo devient un
problème.
Comme vous le savez,
la maladie psychiatrique est catégorisée. Moi, le trouble du jeu vidéo, ce
n'est pas quelque chose que j'ai écrit
souvent dans mes diagnostics. Par contre, j'y parle facilement de pratique
excessive ou de pratique pathologique. On peut dire que 10 %, à peu
près, des enfants du Québec ont une pratique excessive qui met en cause leur
poids, leur sommeil, leurs relations familiales et éventuellement leur
scolarité, et on a à peu près un 2,5 % qui tombe vraiment dans le
pathologique. Je vous le dis, moi, j'ai une approche développementale de ces
sujets-là puisque, de toute façon, l'enfant qui est plus à risque est celui qui
a peut-être déjà aussi une famille complexe, ou déjà un trouble anxieux, ou une
condition particulière. Alors, à mesure que...
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci, M. Chicoine. C'est malheureusement tout le temps
qu'on a. Je pense que nos membres ont beaucoup de questions à vous poser.
• (15 heures) •
M. Chicoine
(Jean-François) : Oui, parfait. Si vous voulez que je parle des
réseaux sociaux... Je voulais... Je tenais à parler des plus jeunes enfants
parce que je sais que vous avez probablement parlé des plus grands jusqu'à
maintenant. Merci, madame.
La Présidente (Mme
Dionne) : Bien, on va parler des tout-petits avec plaisir. Alors, on
va débuter cette conversation avec M. le député de Marquette.
M. Ciccone : Merci
beaucoup, Mme la Présidente. Premièrement, Dr Chicoine, je tiens à vous
dire que c'est un honneur et un privilège de vous avoir à cette commission.
Vous avez le respect de tous mes collègues, je suis convaincu.
En débutant, vous
avez parlé beaucoup du temps d'écran. Est-ce que... Faites-vous la différence
entre les outils pédagogiques... On a fait le tour des écoles, et, la plupart
des écoles, là, le fameux tableau blanc, là, intelligent, on va travailler toujours face à un écran. Ce
n'est plus la vieille craie avec le tableau vert, là, vraiment, on est toujours
les yeux rivés sur un écran où le professeur va travailler là-dessus. Est-ce
que vous séparez, justement, ces temps d'écran là ou, à la fin de la journée,
vous êtes obligés de les comptabiliser ensemble?
M. Chicoine (Jean-François) : Moi, je parle toujours de
temps d'écran loisir et de temps d'écran pédagogique. Maintenant, le temps
d'écran pédagogique, au primaire, les études montrent qu'il n'y a pas
d'avantage à utiliser des feuilles ou des craies plutôt que des écrans.
On sait très bien que, que ce soit pour la mémoire, la lecture, la prise de
notes, la capacité de faire deux choses en même temps, les écrans n'ont rien
apporté, rien qui a été vérifié, et on s'est trop lancés, tous et chacun, pas
juste le Québec, même la Suède vient de revenir en arrière, là, vers des
éléments électroniques. Mais un bon «flip chart», et puis des craies, et puis
des explications, ça fait aussi bien que des écrans électroniques. Maintenant,
si, pour des raisons visuelles, on peut utiliser les écrans électroniques dans
un cadre pédagogique, oui, je n'ai pas de problème avec ça, mais il ne s'agit
pas de l'écran loisir.
M. Ciccone : Au mois de novembre dernier, vous avez commenté, justement,
sur les écrans et difficultés d'apprentissage, là, et je vais vous citer,
là : «Ils sont en retard. En ce qui concerne leur développement, je pense
que nous devons accepter collectivement que nous créons ces retards
développementaux chez des enfants normaux à cause de nos habitudes de vie
d'adulte, qui leur imposent des écrans et parce que nous les négligeons un
peu.» Et ça, ça faisait référence aux enfants qui arrivent en maternelle pas
capables de peler une banane, pas capables de... même pas propres, pas capables d'attacher leurs lacets. Un coup qu'on sait
ça, puis vous avez bien établi, là, la problématique, on fait quoi pour
renverser le tout et ramener ces enfants-là qui sont problématiques à la
normale?
M. Chicoine (Jean-François) : Bien,
à la maternelle et puis dans les CPE, bien, il faut les ramener à l'extérieur,
il y a même des maternelles nature, il faut les ramener dans les jeux
physiques, il faut leur autoriser d'être dans le réel de plus en plus, et il
faut que les parents comprennent ça aussi. Il faut faire attention beaucoup au
retour de l'école, le 15 h 30 à 17 h 30, nos classes ont
été difficiles ces dernières années, mais alors les après-classes ont été
souvent arrosées d'écrans aussi. Et, quand l'enfant arrive à la maison, c'est
encore des écrans. L'enfant a besoin de jeu
«one-to-one» avec quelqu'un, il a besoin de jouer dehors puis il a besoin de
faire du sport et de s'activer. Vous savez, c'est au moins une heure de
jeu très actif, vers cinq, six ans, plus une heure de petits jeux. Alors,
actuellement, on est à 10, 15 minutes.
Alors, évidemment, ce qui m'inquiète là-dedans,
c'est qu'ils dorment moins, ils bougent moins, donc ils deviennent de plus en plus enragés. Moi, je prescris des
psychostimulants. Je ne veux plus prescrire des psychostimulants à
15 % des enfants québécois qui ont toujours envie juste de bouger. Et puis
il va se passer la même chose avec l'anxiété,
et tout. C'est qu'actuellement on décode sous forme de maladie mentale des
corps qui sont laissés à l'abandon visuellement
et au niveau contextuel. Donc, il faut remettre en place toutes les occasions
de jouer, de jouer librement, favoriser nos cours d'école, favoriser
aussi l'installation des parcs. Il y a même des études chez les adolescents sur
le nombre de parcs et la violence chez les jeunes garçons.
Donc, il ne s'agit pas d'être naturaliste ou
granola, il s'agit juste de comprendre que les aspects du réel vont développer
l'enfant. Puis on n'a pas besoin d'études là-dessus, depuis toujours on sait
que les enfants se développent en trois dimensions, dans le réel.
M. Ciccone : Dernière question, Mme la Présidente, je vais laisser la
place à mes collègues. Plusieurs écoles au
Québec ont des programmes de e-sports... d'avoir des stratégies sur Fortnite,
parce que, là, on se dit que, peut-être, plus tard, il va y avoir des
Jeux olympiques avec, justement, ces fameux jeux vidéo là. Vous pensez quoi de
ça, vous, les programmes de e-sports dans les écoles?
M. Chicoine (Jean-François) : Bien,
c'est-à-dire que les jeux vidéo où les jeunes se réunissent comme dans des
clubs, comme avant, là, avant que la bande passante soit importante,
scientifiquement, on dit que, lorsqu'ils... Par exemple, même dans les maisons
de la famille, s'il y avait des jeux vidéo avec tout le monde ensemble, au
moins ils se voient entre les éléments, ils prennent... pas une bière, mais un
café, ou un jus, ou quelque chose, donc il y a un échange physique qui
s'installe là-dedans.
Maintenant, je pense que du e-sport ou pas de
e-sport, ça ne changera absolument rien dans leurs talents, leur avenir olympique. C'est qu'il y a une grande
prétention des adultes face à ce qui est électronique. Oui, ça nous amuse. Oui,
c'est formidable. C'est formidable, ce qu'on est en train de faire en ce moment
grâce à l'électronique, mais ce n'est pas adapté à des enfants au niveau
de leur âge. Il ne s'agit pas de restreindre leur liberté, comme j'ai entendu,
il s'agit de comprendre que ce sont de petites personnes pour lesquelles la
liberté doit être adaptée, et puis le contexte de vie doit être protégé.
M. Ciccone : Merci beaucoup, Dr Chicoine.
M. Chicoine (Jean-François) : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
Mme la députée d'Iberville.
Mme Bogemans : Merci. Par rapport à
ce que vous disiez sur les psychostimulants qui sont prescrits en bonne partie à 15 % des enfants, est-ce que
vous pensez qu'on pourrait mettre de l'avant, premièrement, une prescription
d'hygiène de vie, comme vous dites que c'est un des éléments qui est le plus
manquant? Par exemple, de dire : Avant de
vous donner... Pareil comme quand on a un streptocoque, par exemple, on
dit : On va attendre deux, trois jours pour avoir les résultats, on
vous prescrit l'antibiotique, vous irez le chercher si c'est nécessaire. Mais
essayer pendant un mois une routine de sommeil
raisonnable, manger en famille, tu sais, la base, pas d'écran avant d'aller à
l'école le matin. Dans la tournée des
écoles, moi, j'étais vraiment surprise de voir des élèves du primaire qui
faisaient une heure ou deux d'écran
avant d'arriver à l'école le matin. Tu sais, juste de commencer avec une bonne
hygiène pour un mois puis, après ça, voir si le psychostimulant est
nécessaire.
M. Chicoine (Jean-François) : Bien
oui, vous avez raison, les écrans, ils sont rentrés... les familles québécoises
ne sont pas coupables, mais c'est comme si les écrans étaient rentrés de
travers, comme un crabe dans leur vie, là.
Et là, finalement, ils se sont tous fait avoir. Ce n'est pas normal de regarder
un écran le matin au lieu de déjeuner avec qui que ce soit d'autre.
Maintenant, c'est le travail aussi des équipes
de soins. Moi, j'ai la chance de travailler avec une infirmière, une psychoéducatrice dans mon bureau. Alors,
évidemment, on peut rappeler les parents puis suivre ce programme-là, et
évidemment, aussi, on peut appeler l'école. Alors, c'est sûr que j'envie des
fois les médecins européens qui ont des infirmières scolaires. Moi, il y
a plein de choses que je pourrais faire avec une infirmière à l'école, et ça,
c'est superimportant, parce que... non
seulement pour les prescriptions, pour les habitudes de vie, pour le suivi des
familles. C'est la prolongation. L'école, c'est un milieu de vie
incroyable avec lequel on peut faire grandir les enfants. Et vous avez
totalement raison.
Puis avec les familles, quand on leur explique pour
les écrans, bien, on change complètement l'avenir d'une famille, mais en
quelques semaines, hein? Et les parents nous le disent. Parce que les écrans
sont utilisés à table, sont utilisés le matin, ils rentrent dans la chambre à
coucher. Alors, c'est très important de dire à tous les parents de ne jamais
faire rentrer un écran dans une chambre à coucher avant l'âge de 14 ans,
là. C'est hyperimportant, parce que cet écran-là, il va rester là, et il va
aussi déranger la mémoire de l'enfant, et il va éventuellement l'empêcher de
dormir parce qu'il va finir par rester. Le sommeil, c'est superimportant, et
cette présence des écrans là... Mais il y a comme une hygiène de vie, une
morale de vie qui s'est comme perdue tranquillement, et cet instrument-là, il
est rentré d'une manière vraiment transversale et il prend de plus en plus de
vie.
En conférence avec les parents... Je vais juste
prendre un petit 30 secondes, ça va vous apparaître un peu plus poétique,
il y a une pièce de Boris Vian qui s'appelle Le Schmürz. Donc,
c'est une espèce de boule de pâte qu'on voit au premier acte, il y a le père,
la mère, la bonne et les deux enfants. Le deuxième acte, la boule de pâte est
devenue un peu plus grande, la bonne est partie. Puis, après ça, il y a un fils
qui part, une fille qui part, la femme, et le monsieur
se retrouve dans sa maison avec une immense boule de pâte, tout de suite, sur
le toit, mais il a perdu toute sa famille. Alors, ce «schmürz-là», il rentre
tranquillement dans les familles et il finit par vraiment intoxiquer tout et
chacun.
Seulement, au moins le deux tiers des enfants
qui prennent des psychostimulants ne devraient pas en prendre et auraient juste
besoin d'avoir des habitudes de vie puis un support, que ce soit à l'école ou
dans leur famille, puis un accompagnement des familles pour les familles en
défavorisation. C'est superimportant. Et il se passe la même chose maintenant
avec les antidépresseurs qu'on prescrit de plus en plus. Vous savez, au début
de ma pratique, je prescrivais de l'amoxicilline pour des otites. Maintenant,
je prescris des psychostimulants, des antipsychotiques puis des antidépresseurs aux enfants pour essayer de
contenter un peu la situation. Mais c'est... c'est tragique. Puis...
(panne de son) ...de rentrer dans de nouvelles habitudes de vie.
Mme Bogemans : Donc, clairement...
puis j'avais deux petites questions qui vont paraître vraiment légères à
comparer d'où on est allés dans le sujet précédent, mais ce que je voulais
voir, c'est, si on fait une espèce de guide ou
des recommandations aux parents, de manière générale, style Guide alimentaire
canadien ou ces grandes tendances, comment on peut bien diriger les
parents dans la correction. Parce que je sais que, tu sais, souvent, une
correction positive ou un renforcement
positif, ça fonctionne très, très bien. Alors, quand on marche plus avec des
conséquences ou même des punitions, bien, c'est plus facile à faire.
Puis là la dame qui a passé avant vous dit : Plus qu'on utilise l'écran,
plus on va réagir de manière négative avec l'enfant, là, le parent lui-même,
avec des interventions négatives plutôt que positives. Est-ce qu'on peut
diriger une... puis comment vous le formuleriez, une recommandation en ce
sens-là? Puis comment utiliser l'écran ou faire des conséquences aux écrans qui
seraient raisonnables et qui seraient attribuées? Parce que je pense que,
souvent, la punition à la mode, à toutes les sauces dans les familles, c'est de
dire : Écoute, si tu n'écoutes pas, tu
ne fais pas ci, tu ne fais pas ça, on coupe l'écran, ou il n'y a pas de chat,
il n'y a pas de jeux vidéo, là.
• (15 h 10) •
M. Chicoine (Jean-François) : Bien,
c'est sur que l'écran doit... c'est comme priver de dessert, ça ne sert à rien, donc vous avez tout à fait raison à ce
niveau-là. Il s'agit juste d'expliquer aux parents que, vers l'âge... entre
l'âge de six à 12 ans, les enfants ont besoin d'être accompagnés
lorsqu'ils regardent quelque chose d'électronique, que ce soit une tablette, on
la regarde à deux, on ne laisse pas l'enfant seul sur une tablette à six, sept,
huit ans, on la regarde à deux, si on veut regarder quelque chose
d'intelligent. Même chose pour l'Internet. Donc, l'ordinateur, il doit siéger
en quelque part dans le milieu de la pièce familiale, qu'on puisse pouvoir
aller chercher, et tout. L'Internet va donner beaucoup de possibilités à
l'enfant et va retarder les jeux vidéo puis les réseaux sociaux. Et puis on
peut introduire quelques jeux vidéo qui sont moins addictogènes que d'autres,
une heure ou deux, en organisant tout à fait ça d'une manière préventive. Mais
évidemment on ne lui donne pas notre cellulaire, on ne lui donne pas accès à
des réseaux sociaux et on ne lui donne pas accès seul à l'Internet.
Alors, vers l'âge d'à
peu près 11 à 12 ans, les gens achètent des portables à des enfants. C'est
beaucoup plus jeune dans... des téléphones intelligents. Évidemment, si on
achète un téléphone à un enfant, c'est pour téléphoner ou recevoir des messages, ce n'est pas pour avoir des
applications et ce n'est pas pour être en contact avec l'Internet. Je pense
qu'on n'a pas besoin de l'Internet sur un téléphone avant
l'âge de 14 ans. Et on n'a peut-être pas besoin de téléphone du tout non plus. Il faut aussi réaliser que les
téléphones servent beaucoup, aux parents, à surveiller les enfants, ce qui
n'est éthiquement pas nécessairement correct non plus. En Suisse, par exemple,
ils donnent des montres à des enfants de
trois ans, qui sont bien contents de recevoir la montre, mais qui sont
surveillés du matin au soir par leurs parents, qui sont toujours en
train de supersurveiller les situations. Je pense qu'il faut aussi faire
confiance aux professeurs, faire confiance à l'enfant, lorsque c'est un enfant
de confiance. Et, à moins qu'il s'agisse de situations particulières, une
séparation parentale, et tout... là, il y a effectivement plus besoin de
surveillance ou d'encadrement, mais, en général, c'est ce qu'il faut.
Et puis c'est
simplement à l'âge de 14 ans où on peut donner de l'Internet à un enfant
sur un téléphone ou sur quelque chose
d'autre. Et évidemment, je me suis souvent exprimé là-dessus, moi, je trouve
qu'on n'a pas besoin de réseaux sociaux avant l'âge de 16 ans, ça,
très, très clairement, pour d'autres raisons, là, que je pourrais expliquer.
Mme
Bogemans : Merci. Moi, j'aurais plein d'autres questions, mais je vais
laisser le tour aux autres. Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : S'il
reste du temps, Mme la députée, je reviendrai vers vous. Je cède maintenant
la parole à Mme la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme Cadet : Merci, Mme la Présidente. Ça tombe très bien — merci,
Dr Chicoine — que,
justement, vous vouliez avoir l'occasion de parler des réseaux sociaux, puis je
me demandais, donc, quelle était, donc, votre recommandation en termes
de majorité numérique. Vous venez de le dire. Donc, pour vous, ce serait... ce
serait 16 ans, en fait?
M. Chicoine (Jean-François) : Oui.
Je me suis posé beaucoup la question, parce que j'ai commencé à 14, 15, puis
là je suis rendu à 16. Je suis devenu un peu Australien. Je me suis posé
beaucoup la question. En fait, pourquoi il faut... la notion de majorité
numérique, elle est très, très saine, hein, au même titre que d'autres formes
de majorité, tu sais. Il ne faut pas voir ça
comme un empêchage de tourner en rond. C'est quelque chose pour protéger les
enfants.
Le problème des
réseaux sociaux sont de deux ordres. Premièrement, lorsqu'on s'installe dans un
cerveau de 14, 15, 16 ans, ce cerveau-là a de la difficulté encore...
surtout un cerveau de garçon par rapport à un cerveau de fille, mais, quand même, a de la difficulté à choisir
l'analyse, la voie la plus longue et la plus réfléchie, et va plutôt aller vers
quelque chose d'impulsif, tout simplement pour une question de myélinisation.
Donc, c'est le même cerveau à l'âge de 16 ans qui va mieux fonctionner
pour prendre une décision. Donc, tout ce qui est imposé très rapidement, comme
sur des réseaux sociaux, avec une très, très grande vitesse, amène souvent les
jeunes à faire des mauvais choix, des choix
qui ne sont même pas en rapport avec leurs idées, leur morale, leurs valeurs.
Ils font rapidement des mauvais choix.
Deuxièmement, ils ont
tendance beaucoup à croire, à cet âge-là. Ils peuvent croire aux Martiens, ils
peuvent croire à plein de choses, donc ils peuvent facilement suivre une fausse
information. Et, comme vous le savez, ce sujet-là, il est... il est éprouvant
pour nous tous maintenant, mais il l'est encore plus pour des 14, 15,
16 ans qui ont, dans à peu près 40 % des cas — les
études ont été faites beaucoup par l'Institut Jean-Jaurès, en France — tendance
à suivre ce que dit un influenceur, quel
qu'il soit, quel que soit son nom, sa variété, et tout. Donc, il y a cette
influence-là qui est plus grande.
Troisièmement, il y a
toutes les notions de «gamification» et d'ouverture, surtout TikTok, qui est le
triomphe du genre, qui fait qu'à un moment donné vous rentrez en vigilance et
vous êtes habitué à ce petit mouvement là, qui est toujours ouvert, et vous avez peur d'éteindre, vous venez fou quand
vous n'avez plus de batterie, vous ne regardez pas vos amis et vous regardez
plus votre cellulaire. Et tout ça amène des problèmes de plusieurs ordres,
surtout chez les adolescents.
Premièrement, au niveau de leur corps, bien, ils prennent du poids ou ils en
perdent. Les troubles alimentaires sont
vraiment très reliés à l'abus de réseaux sociaux chez les adolescentes, on a eu
une petite épidémie à Sainte-Justine suite à la COVID, ça donne des
distorsions corporelles, un peu comme le faisaient les magazines sur le... par
rapport à l'image du corps, et tout, autrefois, mais d'une manière extrêmement
accélérée, ça donne beaucoup de situations de mal-être. De plus en plus...
Alors, les études sur les enfants, elles sont plus claires, les études sur les
réseaux sociaux, elles commencent à tomber depuis trois ou quatre ans, mais ça
donne une sensation de mal-être, d'inadaptation, d'anomie, parfois de
dépression, qui peuvent parfois mener au suicide, à l'anxiété.
Donc, c'est quelque
chose qui est extrêmement challengeant, pour un cerveau, de s'observer
soi-même. Les neurones moteurs sont faits pour s'ajuster. Voyez-vous, on est
capables, nous, de nous ajuster l'un et l'autre à travers l'écran, je vous vois et je vois votre sourire,
mais, quand l'enfant se regarde lui-même ou essaie de s'ajuster en faisant
un «duck face», en choisissant sa... il
finit par rentrer dans une boule d'autosatisfaction qui le rend fou. D'où il y
a des éléments de distorsion
corporelle, des troubles identitaires, et tout. C'est un outil qui est plus
dangereux. Évidemment, c'est
décrit pour ceux qui l'utiliseraient trois heures de plus par jour, et
certainement qu'une heure ou deux chez un enfant qui va bien, et tout, n'aurait
pas le même problème. Mais pourquoi leur confier ces réseaux sociaux là? Parce que, quand même, dans le tiers des cas, chez les
enfants défavorisés, chez ceux qui sont isolés, chez ceux... les éléments
mis de l'avant du côté de la communauté, de
la brisure du silence, et tout, sont vraiment inférieurs aux effets délétères
négatifs qui vont s'installer à court, moyen ou long terme.
Mme Cadet : Vous avez parlé,
Dr Chicoine, de distinction garçons-filles et même de «gamification».
Donc, est-ce que... ce seuil minimal là que
vous établissez pour les réseaux sociaux, est-ce que vous feriez la même chose
pour les jeux vidéo? Nous, dans notre tournée, on en a beaucoup vu, c'est ce
que nous a confirmé le pédiatre, ce matin, de la Fédération des médecins
spécialistes, c'est que, souvent, les garçons, ça va être beaucoup plus les
jeux vidéo, les filles, les réseaux sociaux.
M. Chicoine
(Jean-François) : Oui. En général, traditionnellement, c'est plus les
garçons, les jeux vidéo, puis les filles, les réseaux sociaux. C'est ce qu'on
voit dans toute la littérature. Effectivement, les filles sont plus sur les réseaux sociaux, au niveau de l'image, mais
l'abus... que ce soit... Parce qu'au fond, là, au début, la pathologisation de
cela a été décrite pour les jeux vidéo, mais c'est la même chose pour les jeux
vidéo que pour l'abus d'Internet. Au fond, c'est la même chose pour
l'abus d'Internet que pour l'abus de réseaux sociaux. En fait, c'est que,
arrive à un moment donné, c'est trop de temps dans un univers virtuel pour
lesquels, bien, il y a du faux, pour lesquels il y a de la violence puis pour
lesquels il y a des éléments de «gamification» qui sont extrêmement reliés. Les
réseaux sociaux qui sont les plus «gamifiants» sont ceux qui ont le plus de
succès parce que c'est ceux dont on peut moins s'extirper. Alors, évidemment,
c'est des endroits qui sont faits pour garder l'attention des jeunes et puis
pour qu'ils aillent le moins souvent ailleurs.
Ceci amène tous les autres problèmes en
conséquence, comme la cyberintimidation, la cybervictimisation, à peu près un
sur 10, puis les éléments de pornographie, là, qu'on n'a vraiment pas réussi à
régler. C'est à peu près 80 % des jeunes de 11, 12 ans qui sont
exposés à des actes pornographiques généralement reliés à de l'agressivité,
parce qu'ils tombent par hasard là-dessus sur les réseaux. Et évidemment, bien,
il y a les sextorsions qui s'installent là-dedans. Et puis vous avez à peu près
15 % des jeunes, dit-on, qui sont inscrits à des éléments de pornographie
à travers les réseaux sociaux et les sites Web. Donc...
Mme Cadet : Merci beaucoup,
Dr Chicoine.
M. Chicoine (Jean-François) : Parfait.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
D'ailleurs, on aura des témoins, justement, pour approfondir sur la
pornographie tout au long des consultations. Alors, maintenant, je passe la
parole à M. le député de Gaspé. Voilà.
• (15 h 20) •
M. Sainte-Croix : Merci, Mme la
Présidente. Dr Chicoine, merci d'être ici avec nous aujourd'hui et de vous
prêter à l'exercice. On apprécie beaucoup votre connaissance.
Vous avez parlé de ramener les jeunes dans le
monde réel. Vous avez parlé de l'importance et la nécessité de bouger tantôt de
façon intensive, tantôt de façon plus calme. Vous avez parlé de mode de vie,
Dr Chicoine. Moi, je vous écoute, tu
sais, l'essentiel de notre commission, c'est se pencher sur le cas de nos
jeunes au regard des écrans. On serait-tu rendu à l'étape de réinventer
l'école pour favoriser ce que vous dites là, là? Tu sais, quand j'entends, moi,
que les jeunes ne s'amusent plus, que les
jeunes ne bougent plus, que les jeunes ne se coltaillent plus, quand j'entends
dire qu'il faut trouver des façons... pour nos adolescentes nommément, trouver
une façon de bouger, trouver une façon que
le corps... vous avez parlé de corps, je ne sais pas comment vous avez dit ça,
abandonnés ou... C'est quand même fort ce que vous amenez comme image,
là, quand je vous écoute parler de nos jeunes. Puis je vous pose la question de façon très naïve, mais on est-tu rendu à cette
réalité où... si on veut que nos jeunes, quelque part, grandissent de façon,
je dirais, normale, là, comme moi, j'ai grandi, là, on est-tu à l'étape où il
faut penser de façon beaucoup plus large non seulement à l'utilisation,
l'accès, l'usage des écrans, mais le mode de vie des gens?
M. Chicoine (Jean-François) : Je
suis tout à fait là-dessus. Lorsqu'on parle de petits enfants, évidemment, on
peut passer par les infirmières à la maison, les équipes de maternelles, les
CPE, l'importance de nos CPE, là, la dégradation de la position des éducatrices
dans les CPE, c'est important. Donc, pour les petits, il y a ce milieu-là.
Mais, pour les plus grands, l'école, c'est central pour guider les enfants,
mais guider les familles aussi, à travers les rencontres et la participation
des professeurs.
Puis on peut prendre un exemple très précis par
rapport à ce qu'on peut faire avec le téléphone, le téléphone à l'école. Je
n'ai jamais été un grand fervent des clubs des petits-déjeuners, parce que,
pour faire suite avec ce qu'on disait tantôt, je trouve que petit-déjeuner,
c'est une fonction parentale, c'est une bonne façon de «starter» la journée et
de se parler, ce qui n'empêche pas qu'on peut avoir des yogourts, des toasts à
l'école le matin. Par contre, je vais me
battre beaucoup pour que les repas puissent être gratuits à l'école le midi,
pour justement donner aux enfants
l'impression d'être dans un milieu de vie qui s'occupe de tout, de tout leur
corps, de leur nutrition et aussi de leur savoir.
Donc, le fait d'être à l'école toute la journée et
de ne plus avoir de téléphone, comme ça s'est fait dans la commission scolaire
des Mille-Îles, comme ça vient de se faire à Oka, très clairement les enfants
vont commencer à se parler. C'est vraiment deux heures de connexion physique
entre eux qui leur manque par jour. Ils vont se mettre à niaiser, ils vont se
mettre à parler de différentes choses, se regarder, se parler, se regarder, se
parler, et le faire en alternance, ce qui augmente énormément leur altérité,
leur empathie, leur considération pour l'autre, ce qui diminue beaucoup la
violence dans les écoles, ce qui augmente beaucoup les considérations pour
l'autre. Il y a beaucoup de programmes qui vont même tomber à partir du moment
où les enfants vont pouvoir se parler. Donc, s'ils peuvent se parler
simplement, si on enlève l'outil téléphone, pas juste en classe, mais partout,
en récréation, dans les casiers, et tout, ça peut devenir un endroit absolument
formidable.
Et là, évidemment, bien, ça donne l'idée de
faire des projets plus créatifs. On peut inventer des nappes à pique-nique pour
aller manger dehors, on peut augmenter des sports plus ou moins sociaux le
midi, là, de la marelle, de la pétanque, pas des trucs supersportifs, mais des
trucs qu'on fait en groupe. Et puis, ensuite, bien, on augmente les activités
sportives, etc., pour en faire un milieu de vie. Puis on peut aussi faire des
colloques, des conférences. Les parents, ils adorent participer à des événements
qui vont leur en dire plus sur le jeune, sur la manière dont il peut
fonctionner.
Les sorties scolaires sont
importantes aussi dans ce point de vue là. On sait que les enfants de Montréal,
ils ne voient pas beaucoup la nature,
alors... Et clairement, actuellement, au-delà du jeu libre, du sport, les
éléments naturels apportent beaucoup de diminution de stress, aident au
TDAH, aident à différentes... Donc, il est important d'être... d'être en
immersion constante avec la nature. On se rappelle ce que certaines écoles ont
malheureusement fait avec l'éclipse, bien, c'était une grave erreur. Le fait de
voir l'éclipse, de voir cette beauté tragique là est quelque chose qui est
important dans la vie d'un individu. Tous les éléments sacrés, ils sont, donc,
la nature, la compréhension de l'environnement, tout ça doit être inscrit dans
l'école.
Et évidemment je pense qu'il faut faire le
tournant, et on peut le faire rapidement en dépolluant rapidement, que ce
soient les écoles et les familles, et puis ça va passer par l'électronique.
Parce qu'il y a beaucoup de parents qui sont aussi... qui sont aussi pris avec
ces instruments-là. Pour un pédiatre, excusez l'expression, il y a actuellement
beaucoup de perversion adulte. On laisse aller des choses sur lesquelles on
devrait intervenir, et je pense que c'est la responsabilité d'un gouvernement
d'intervenir, comme c'est la responsabilité des éducateurs, des soignants. Moi,
je pourrais dire que je suis un petit peu déçu du fait que les pédiatres ne
sont pas sortis avant pour expliquer à quel point la santé globale des enfants
est en train de péricliter au profit de machines qui sont externes à eux.
La
Présidente (Mme Dionne) : Merci beaucoup, monsieur. Merci. Disons que, les
pédiatres, on en a entendu ce matin. On
vous entend maintenant. Puis je trouve ça bien qu'on ait fait la tournée des
écoles, M. Chicoine... Dr Chicoine,
pour justement entendre les enfants nous parler des problématiques, et, que
maintenant vous veniez valider tout ça, on trouve ça vraiment intéressant.
Donc, je passe maintenant la parole à Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques.
M. Chicoine (Jean-François) : Merci.
Mme Massé : Oui. Bonjour. Merci
d'être avec nous. Repartons sur le dernier point que vous avez amené, cette
question de perversion. En fait, en d'autres mots, je vais prendre les miens,
c'est comme s'il y a un système, derrière tous ces écrans-là, qui fait en sorte
qu'on se fait pogner d'un bord ou de l'autre, peu importe notre âge, on est
pogné là-dedans. Donc, je vois votre grand signe de tête, je l'avais bien
saisi. Donc, est née d'une intervenante avant vous l'idée de dire : Bien,
pour recréer du temps parental... la dame est psychologue, pour recréer du
temps de lien avec les enfants et les parents, bien, une des choses qu'un État
pourrait faire, c'est de légiférer, notamment, sur le droit à la déconnexion,
que les parents peuvent être légitimes, légalement, donc, de pouvoir
dire : Non, patron, je ne répondrai pas à ton courriel à 22 h 30
ou bien l'heure où les enfants mangent, plutôt, l'heure du souper. Vous pensez
quoi de ça, vous?
M.
Chicoine (Jean-François) :
Je pense que c'est... c'est attendu, au même titre que, pour prendre un exemple
courant, je pense que beaucoup de gens se sont fait avoir avec le télétravail, il
y a beaucoup de familles qui ont télétravaillé, puis leurs enfants étaient à
côté d'eux. Il y a une chercheuse de l'Université de Montréal qui a montré que
c'était deux solitudes, que l'enfant ne profitait pas du tout de ça. Il s'agit
là d'une disponibilité physique, pas d'une disponibilité psychique. Et moins
les parents sont psychiquement en lien avec leurs enfants, c'est-à-dire moins
ils font une activité corporelle qui est basée dans le temps puis dans la
qualité mixée, là, plus les parents deviennent... se sentent incompétents. On a
de plus en plus de bons parents qui ne se sentent plus compétents et qui
perdent rapidement le lien et l'apaisement qu'ils auraient normalement dans une
relation parent-enfant. Et évidemment on n'a pas besoin des... Moi, je dis
toujours aux parents, par exemple : Vous coupez les alertes sur votre
téléphone le soir. Évidemment, on a au Québec moins de gens qui mangent devant
la télévision qu'on en avait il y a une vingtaine d'années. Par contre, il y a
de plus en plus de petits écrans, et on les change de pièce. Puis il faut
manger avec les enfants aussi, parce qu'il y a de plus en plus d'enfants qui
mangent devant leurs écrans à la télévision, puis les parents, on a tous des
habitudes, on mange un peu plus tard avec un petit verre de vin, vont manger à
part. Ça, c'est extrêmement problématique, même dans des familles bien nanties.
Mme Massé : D'ailleurs, l'idée d'un
guide que proposait ma collègue est intéressante dans ce sens-là, tu sais, oui,
refaire les écoles, mais réapprendre à être parent dans ce contexte actuel.
Vous avez parlé de deux éléments qui, pour moi,
sont bien importants. Je veux vous relancer encore sur les réseaux sociaux.
Mais vous avez, si j'ai bien compris, parlé comment l'altérité et l'empathie...
qui sont deux façons d'être qui m'apparaissent essentielles dans le
vivre-ensemble respectueux, hein, être capable de considérer l'autre et être
capable de se mettre un peu dans les bottines de l'autre dans un vivre-ensemble
qui est de plus en plus tendu, où l'intolérance occupe, pas seulement sur les
réseaux sociaux, mais dans la vraie vie, de plus en plus de place, où les gens différents sont de plus en plus marginalisés,
pointés du doigt, etc. On pense que les réseaux sociaux y comptent... y
jouent pour beaucoup.
M. Chicoine (Jean-François) :
Tellement.
Mme Massé : Vous qui voyez une
multitude d'enfants, comment vous leur parlez de ça?
M. Chicoine (Jean-François) : Bien,
moi, le sujet de l'empathie, de la considération pour l'autre, c'est quelque
chose qui est central dans mes consultations. C'est hyperimportant. Et très,
très jeune, vers l'âge... je pense qu'il faut surtout
adresser ça entre trois ans et demi et quatre ans et demi au début. C'est là,
souvent, où on les perd. Vous savez, l'agressivité chez un enfant à l'âge de
quatre ans, pour moi, c'est une urgence médicale. C'est qu'il faut absolument
intervenir avec l'éducatrice en garderie pour essayer de voir ce qui se passe à
la maison, pourquoi l'enfant devient agressif, et rapidement on va voir l'idée
d'un écran ou l'idée d'une pratique parentale au niveau de la discipline puis
de l'organisation qui est... qui n'est pas adéquate. Alors donc, c'est souvent
des parents qui ont besoin d'un support. Et, pour moi, c'est hyperimportant de
faire intervenir la proximité, donc le communautaire, le CLSC rapidement pour
essayer d'endiguer cette situation-là.
• (15 h 30) •
Quand on arrive à l'école, bien, souvent il y a
des programmes contre l'intimidation, l'empathie, etc. Mais, si on n'a pas déjà commencé ça au CPE ou à la
maternelle, d'où l'importance des CPE avec d'excellentes psychoéducatrices,
c'est sûr que le problème, il devient déjà un petit peu plus installé. Vers
l'âge de sept ans, les enfants ont une cognition
qui leur permet de considérer l'autre plus différemment ou plus pareil comme
eux. Donc, il y a un jugement qui commence à s'installer, et c'est là
qu'il faut continuer de travailler beaucoup, beaucoup avec les éducateurs puis
les psychoéducateurs.
Moi, je crois beaucoup, beaucoup à la
psychoéducation puis aux éducateurs. Je les utilise beaucoup parce que je
considère, justement, que c'est les contextes, c'est les environnements qui
font que certains enfants vont aller moins bien que d'autres. Ce n'est pas eux
nécessairement qui ont au départ un problème génétique, un problème de naturel,
et tout. Et je pense qu'on les... si on les porte bien, on est capables de les
amener vers quelque chose d'autre. Et les enfants sont ouverts à énormément de
choses différentes. Et, s'ils ont joué librement, ils ont de l'imagination.
Plus ils sont sur des écrans, moins ils ont d'imagination, plus ils ont de
l'efficience. Ils ont l'air... ils ont l'air rapides pour trouver le bouton, et
puis tout le monde fait : Wow!, c'est bien extraordinaire, mais ils ne
sont pas capables de partir «from scrap» d'une idée nouvelle. Donc, ils ont une
pensée extrêmement répétitive et un petit peu ennuyeuse par rapport à d'autres
enfants qui ont beaucoup lu et à qui on a raconté des histoires.
Je n'ai pas parlé de lecture tout à l'heure,
mais, clairement, les écrans chez nos jeunes enfants, c'est cinq fois plus que
la lecture, et rendus à 14 ans, il y a 14 fois plus d'écrans que de
lecture. La lecture, c'est 4 % simplement du temps d'aujourd'hui. Et on sait
que la lecture augmente l'imagination, augmente l'empathie, augmente la
capacité de comprendre dans les histoires des autres. Alors si, juste, on
introduisait la lecture obligatoire, des mesures faciles, une demi-heure par jour à l'école, une demi-heure
de lecture par jour, on augmenterait de 15 % le français, et on
augmenterait de facilement 30 % l'empathie puis la considération pour des
modèles différents, puis on augmenterait l'imagination des enfants.
L'imagination des enfants est quelque chose qu'il faut protéger dans une
situation... dans une société comme la nôtre, au même titre que la culture.
Mme Massé : Avec un dîner gratuit,
je pense, ça irait mieux.
M. Chicoine (Jean-François) : Oui,
bien, c'est sûr. Puis on peut faire des dessins de clown.
La Présidente (Mme Dionne) : Sur ces
belles paroles, c'est malheureusement tout le temps qu'on avait. Alors, on doit malheureusement se laisser
là-dessus. Dr Chicoine, merci infiniment pour votre contribution à ces travaux.
Votre présence a été très appréciée cet après-midi.
M. Chicoine (Jean-François) : Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : Pour ma
part, je suspends les travaux quelques instants pour accueillir nos prochains
témoins. Merci.
M. Chicoine (Jean-François) : Merci
pour votre travail.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
Au revoir.
(Suspension de la séance à 15 h 34)
(Reprise à 15 h 45)
La Présidente (Mme Dionne) : Alors,
la commission reprend maintenant ses travaux. Donc, nous avons le plaisir
d'accueillir M. Benoit Gauthier. Est-ce qu'on doit vous appeler... Je
pense que vous venez de terminer?
M. Benoit Gauthier
M. Gauthier (Benoit) : Bien, j'ai
terminé, mais je n'ai pas encore fait ma soutenance. Donc, je ne suis pas
officiellement docteur, non.
La
Présidente (Mme Dionne) : O.K. Parfait. C'était juste pour s'assurer qu'on
ne créait pas d'impair. Alors, merci d'être avec nous, M. Gauthier.
Donc,
je vous rappelle, vous disposez de 10 minutes pour nous faire part de vos
commentaires, et, suite à cela, on procédera à une période d'échange
avec les membres de la commission. Donc, la parole est à vous, et bienvenue à
cette commission.
M.
Gauthier (Benoit) : Super. Merci, Mme la Présidente. Et merci aux
membres de la commission pour l'invitation et la possibilité de vous
faire part aujourd'hui de ma perspective sur le sujet. Je suis Benoit Gauthier
et, comme on vient de le mentionner, j'ai
terminé en septembre dernier un doctorat interdisciplinaire sur la question des
impacts et enjeux de la surexposition
aux écrans chez les jeunes, sous la direction de la Pre Linda Pagani, mais je
n'ai pas encore fait ma soutenance,
donc. Sinon, j'ai aussi des maîtrises en sociologie et en travail social. J'ai
aussi travaillé une dizaine d'années en
intervention auprès des jeunes, notamment en CLSC, dans les programmes CAFE.
Puis je mentionne aussi que, depuis quelques mois, je suis maintenant
conseiller santé publique, porteur du dossier écran chez les jeunes à la
Direction de santé publique de la
Montérégie, mais aujourd'hui je m'adresse à vous à titre personnel. Alors, sans
plus tarder, j'y vais avec mes constats et recommandations pour vous.
Première chose que je veux mentionner, que
d'autres ont évoqué précédemment mais que je veux mettre bien au clair, c'est que les logiques marchandes et
industrielles de course au captage de l'attention qui caractérisent l'industrie
du numérique sont tout simplement incompatibles avec le développement du
potentiel humain, qui est en grande partie tributaire
du temps qui y est investi. Donc, si on veut protéger d'un côté le
développement des jeunes, de l'autre, des limites doivent être imposées à
l'économie de l'attention, ce qu'on n'a pas trop fait dans les
15 dernières années.
Puis ce que ce constat-là nous indique et qu'il
faut garder en tête, c'est que, toutes les mesures auxquelles on pourra penser,
qui impliqueront d'une façon ou d'une autre la collaboration des géants du
numérique, bien, les géants du numérique vont s'y opposer farouchement ou vont
chercher à les contourner autant que possible, tout ça pour chercher à tout
prix à préserver le temps d'attention des jeunes qu'ils s'accaparent, c'est ça,
leur modèle d'affaires, pour conserver leur marge de profit et aussi pour
continuer à minimiser leur contribution au trésor public, ce qu'ils font très
bien jusqu'à présent. Donc, je ne suis pas contre de telles mesures, au
contraire, mais je pense seulement qu'on ne devrait pas compter sur ce genre de
mesure en priorité parce que, pour les raisons que j'ai dites, leur application
risque d'être fort laborieuse.
Second constat que je veux porter à votre
attention, qu'on peut ressortir de la littérature, c'est que les bienfaits
allégués du numérique pour les jeunes, qui ont été proclamés par certains
intervenants ici, ces bienfaits-là relèvent majoritairement de la croyance et
non de la science. En ce sens, je pense qu'il devrait s'opérer un certain
recadrage sémantique ou une certaine reconsidération de la norme sociale à
propos des jeunes et du numérique. Les termes
«bienfait» ou «bénéfice», ceux qui me connaissent savent que ça m'agace pas
mal. Ces termes-là sous-entendent que... Bien, ces termes-là, ça veut
dire «avantage». Donc, ça sous-entend que les écrans auraient... les activités
sur écran auraient des avantages pour le développement ou pour les apprentissages
des jeunes par rapport à des activités équivalentes sans écran. Ce qui, dans la
presque totalité des cas, n'est tout simplement pas démontré. Donc, je pense qu'on devrait privilégier davantage les termes
«utilité» ou «fonction» des écrans, et puis ce qu'on ne peut pas nier, les
écrans ont de multiples utilités et fonctions. Bien, d'ailleurs, ça me permet
d'être avec vous à distance aujourd'hui.
Également, pour rester dans la sémantique, toute
expression qui réfère à un futur numérique inévitable et bienfaisant devrait
aussi être évitée dans toute campagne d'information et de sensibilisation qu'on
pourrait faire, selon moi, parce que ce genre de propos là, ça nous positionne
un peu comme si on voyait le numérique comme un phénomène qui nous envahit inévitablement
et auquel il faudrait adapter nos enfants coûte que coûte, au risque qu'ils
manquent le train numérique ou quelque chose comme ça.
Donc, je crois que, plutôt, collectivement, on
devrait davantage se positionner dans le sens de choisissons la place que l'on souhaite que les écrans occupent
dans nos vies et surtout dans celle de nos jeunes. Parce que ce qu'on veut, c'est qu'ils gardent une place d'outils pour nous
et non quelque chose qui prend tout... qui en vient à prendre toute la place.
Troisième
élément que je veux porter à votre attention, c'est que... c'est l'impact
environnemental du numérique, qui a
été, je pense, peu abordé à date dans cette commission. Alors, la production du
numérique est une grande consommatrice
d'énergie, je pense que vous le savez, mais aussi il faut savoir que ça repose
en partie sur l'exploitation des métaux rares, dont l'extraction est
très polluante. Qui plus est, les milliards d'appareils numériques produits et
vendus chaque année demeurent très peu recyclés et recyclables. Les émissions
de GES du numérique sont d'ailleurs passées
de 4 % à 8 % du bilan mondial dans les cinq dernières années
seulement. Alors, je pense qu'on devrait davantage viser une sobriété numérique, en tout cas chez nos
jeunes, puisque les bénéfices pour eux sont limités, comme je viens de
le dire.
Puis j'y vais d'une première petite proposition,
ici, par rapport à l'aspect environnemental. Ça serait simplement l'élargissement ou... et l'augmentation des écofrais pour les
appareils numériques neufs, qui sont, pour les appareils mobiles en
particulier, assez dérisoires pour l'instant, je pense, tout ça pour encourager
l'achat d'appareils reconditionnés et aussi encourager les gens à conserver
plus longtemps leurs appareils.
• (15 h 50) •
Alors, j'y vais maintenant de mes
recommandations plus concrètes par rapport aux usages. Puis c'est bien de succéder au Dr Chicoine pour ça, parce qu'il vous
a donné certaines explications qui appuient mes recommandations. Alors,
première recommandation, qui est un peu mon dada, c'est de restreindre l'accès
solitaire et non supervisé aux écrans pour
les moins de 14 ans. Ça implique d'abord que les recommandations selon
lesquelles les écrans ne devraient pas se retrouver dans les chambres à
coucher des jeunes soient davantage vues du public. Puis j'en profite aussi
pour mentionner que les écrans ne devraient pas se retrouver dans les chambres
des adultes non plus. Donc, il y a une certaine reconsidération de la norme
sociétale qui devrait s'opérer là-dessus aussi. Mais, plus généralement, ce que
je proposerais, c'est
de restreindre complètement l'accès non supervisé aux appareils numériques chez
les moins de 14 ans, et donc aussi restreindre la possession personnelle
d'appareils mobiles connectés comme un téléphone intelligent ou une tablette.
Donc, avant 14 ans, l'exposition aux écrans devrait se faire dans des
espaces partagés en présence d'adultes seulement.
Recommandation n° 2 :
restreindre et débanaliser les jeux vidéo en ligne. Je veux rappeler ici, à
propos des jeux vidéo en ligne, que ceux-ci
comprennent plusieurs mécanismes qui sont hautement problématiques pour les
jeunes : gamblification,
monétisation, publicité, banalisation de la violence, collecte massive de
données, création de contenus par les
utilisateurs qui s'apparentent à une forme d'exploitation du travail des
enfants, et aussi les avatars et l'entretien qu'ils requièrent qui
deviennent comme des dispositifs de remplacement de la réalité pour les jeunes.
Bref, les jeux vidéo en ligne apparaissent
comme étant un type d'exposition des plus délétères. Ma recommandation concrète
à ce sujet-là, c'est tout simplement : avant 14 ans, pas de
jeux vidéo en ligne, pas de jeux vidéo de tir à la première personne et pas
d'autres jeux violents de toutes... de jeux vidéo violents de toutes sortes non
plus.
Puis j'en profite aussi pour dire que les
programmes e-sport dans les écoles, pour moi, ça n'a pas du tout sa place. En
outre, on veut encourager les enfants à jouer avec leurs amis, avec leurs
familles en personne, puis je fais ici un clin d'oeil au récent plaidoyer de la
Société canadienne de pédiatrie pour le jeu libre et pour le jeu risqué que...
dont le Dr Chicoine vient de vous parler aussi.
Recommandation n° 3,
je veux juste... En fait, je commence en disant que je suis favorable, comme
d'autres l'ont été avant moi, à l'interdiction complète du cellulaire dans
toutes les écoles primaires et secondaires du Québec. Puis, de plus en plus,
cette mesure-là, on sent qu'il y a une certaine acceptabilité sociale pour
cette mesure-là. Puis il y a plusieurs écoles déjà, au Québec, qui mettent
cette mesure-là en place avec succès. Donc, pour ce qui est de l'applicabilité,
de la faisabilité de cette mesure-là, on peut simplement s'inspirer des écoles
qui le font déjà, puis il existe même des guides pratiques pour guider
l'implantation de ce type de mesure.
En addition, par contre, j'irais beaucoup plus
loin, je restreindrais la présence d'appareils numériques dans les milieux des
enfants puis je viserais trois choses en particulier. Premièrement, dans les
services de garde à la petite enfance, les écrans ne devraient pas du tout se
retrouver là, puis ça inclut l'usage que les éducatrices font en présence des
enfants. Les services de garde dans les écoles également, les écrans ne
devraient pas du tout avoir leur place là. Puis finalement, au primaire, je
pense qu'avant le troisième cycle du primaire, donc avant la cinquième année,
il ne devrait pas du tout y avoir d'écrans non
plus parce qu'il y a peu de bénéfices de démontrés et beaucoup de risques.
Donc, j'irais plutôt... à partir de la cinquième année du primaire, on pourrait
les intégrer graduellement et parcimonieusement, seulement via des appareils fournis par l'école, configurés pour des
usages précis et alignés sur des objectifs pédagogiques clairs et
démontrés, j'insiste, démontrés, et non prétendus, et en continuant de laisser
une grande place aux relations d'apprentissage sans écran, au papier et à la
prise de notes manuscrites, qui ont fait leurs preuves.
Puis dernière et quatrième recommandation, comme
d'autres l'ont suggéré, je propose ici la création d'un comité national
d'experts indépendants. Puis, pour moi, ce comité-là aurait la responsabilité
de créer et de mettre à jour en continu un
registre national de contenu adéquat par tranches d'âge, pour les usages de
loisirs, mais aussi pour les usages pédagogiques. Et ce comité-là
pourrait être aussi intéressant dans une perspective de promotion des contenus
locaux parce qu'il pourrait assurer une certaine proportion de contenu
québécois dans ses recommandations. Il pourrait aussi s'occuper d'une certaine
classification des jeux vidéo, en lien avec ma recommandation n° 2,
puis pas nécessairement besoin de créer de toutes pièces une nouvelle instance,
il pourrait être tout simplement créé au sein de l'INSPQ.
Alors, voilà.
Je m'arrête ici. Je vous ai présenté ça de façon très sommaire, mais il me fera
plaisir de fournir des explications et des justifications supplémentaires
selon les questionnements que vous aurez.
La
Présidente (Mme Dionne) : Merci beaucoup, M. Gauthier, pour cette
intervention. Donc, nous allons débuter la période d'échange avec M. le
député de Marquette.
M. Ciccone : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour,
M. Gauthier. D'entrée de jeu, j'aimerais vous dire que j'ai tellement été
content de vous entendre dire que le e-sport dans les écoles, ça n'a pas sa
place. Merci beaucoup de le mentionner. Je n'ai même pas besoin d'élaborer là-dessus,
tout le monde a compris.
Tantôt, vous avez dit : Le choix des mots
est important. Quand vous avez dit : Il faut... On peut... L'utilité, vous
avez dit, ou on ne peut pas l'utiliser, ou... Le choix des mots est très
important. Tu sais, il faut... C'est quoi pour vous, là? Parce qu'il faut-tu
tout mettre dans le même panier? C'est quoi, la définition, pour vous, d'un
écran? Parce que, quand vous dites :
Dans la chambre à coucher, il ne devrait pas y avoir d'écran, est-ce que ça
inclut un téléviseur également? À l'école, est-ce que c'est... Les
outils pédagogiques, les nouveaux tableaux intelligents sur lesquels les professeurs travaillent, est-ce que ça, ça entre
aussi dans la définition d'écran pour vous? J'aimerais que vous démystifiiez,
là, c'est quoi ou donner la définition d'écran pour vous, là.
M. Gauthier (Benoit) : Oui,
certainement. Bien, c'est sûr que les différents types d'écrans et d'usages
sont à différencier dans différents contextes, mais, dans... par rapport à mes
recommandations, je dirais que, bon, il y a une part de mes recommandations qui concerne seulement les... plus
spécifiquement les jeux vidéo, les jeux vidéo en ligne, mais, pour mes
autres recommandations, comme les écrans dans les espaces privés puis dans la
chambre à coucher et les écrans dans les écoles, je ne fais pas de distinction,
j'inclus tout type d'écran, carrément tout type d'écran. Donc, ça inclut les
tableaux blancs interactifs, qui, je le rappelle, n'ont pas fait leurs preuves
tant que ça. Ce qu'on voit dans les études,
ce que ça ressort, c'est que ça augmente possiblement la motivation, mais ce
qu'il faut savoir, c'est qu'il y a deux types de
motivation. Il y a la motivation intrinsèque et il y a la motivation
extrinsèque, et les écrans augmentent davantage la motivation extrinsèque puis,
à la limite, rendent les jeunes dépendants à la motivation extrinsèque. Mais, pour favoriser les apprentissages, ce qu'on
veut, c'est une motivation intrinsèque, puis cette motivation-là intrinsèque
se crée beaucoup plus dans la relation
enseignant-apprenant, et autres. Puis aussi, de toute façon, de plus en plus,
c'est démontré par les revues de
littérature, la lecture papier, la prise de notes manuscrites est supérieure,
pour la compréhension puis la rétention du contenu, par rapport aux
écrans.
M. Ciccone : Si je fais référence à votre mémoire, là, le postulat n° 2, vous dites : «Plusieurs des métaux rares nécessaires à la fabrication des milliards
d'appareils produits et vendus chaque année — vous en avez parlé — qui demeurent très peu recyclés et
recyclables seront épuisés dans environ trois décennies, tout au plus.» Ça, ça
veut-tu dire que, dans 30 ans, le problème va se régler tout seul, là?
M. Gauthier (Benoit) : Oui. Bien, en
fait, dans mon mémoire, je citais... c'est le Shift Project, en France, qui
s'intéresse beaucoup à la transition écologique, à la transition énergétique,
puis, bon, à ce moment-là, c'est ce qu'ils avaient dit. Puis, tu sais, en fait,
ce n'est pas tout à fait juste de dire qu'ils vont être complètement épuisés, c'est plus les stocks actuels. Mais, au fur et à
mesure qu'on va aller plus loin dans l'exploitation des métaux rares, bien, il
va falloir aller les chercher plus loin, créer des nouvelles mines, plus de
gisements, puis, je ne sais pas vous, mais je pense qu'il n'y a personne
qui a le goût d'avoir une mine proche de chez lui. Puis on sait les désastres
que les mines abandonnées ont laissés. Puis
il faut savoir aussi que, les métaux rares, bien, pour l'instant, c'est
beaucoup la Chine qui les produit, donc on est très dépendants de la
Chine pour ça.
Puis les métaux rares, il y a un parallèle à
faire avec les sables bitumineux en Alberta. Puis, tu sais, les sables
bitumineux, c'est des sables qu'il y a une infime quantité de pétrole dedans,
puis on en extrait beaucoup, puis là, après
ça, il y a des procédés complexes et énergivores pour retirer le pétrole de ça.
Bien, les métaux rares, c'est la même chose, c'est des métaux qui sont
contenus en très petites quantités dans la roche, puis on doit creuser, enlever
beaucoup de matière de la terre puis, après
ça, la traiter pour sortir ces fameux métaux rares de là. Donc,
environnementalement parlant, je ne suis pas sûr que c'est un miracle, là.
M. Ciccone : Dernière petite question, M. Gauthier. Tantôt, vous
avez dit une chose très intéressante... parce qu'on
se penche sur le dossier là, des écrans, les impacts des écrans depuis
plusieurs mois, on va terminer au mois de mai. Puis là on en parle beaucoup, on en parle beaucoup, on en parle
beaucoup, mais le risque, toujours, d'une commission comme celle-là,
c'est qu'un coup qu'on va avoir terminé on donne notre rapport au gouvernement,
puis, après ça, bien, advienne que pourra.
Vous avez parlé d'un comité indépendant pour continuer, justement, de faire
vivre... d'avoir une certaine surveillance, et aussi d'être capables
d'émettre des recommandations avec la nouvelle technologie, et s'adapter avec le futur aussi. Bien, je trouve ça
très intéressant puis j'aimerais ça vous entendre un peu plus là-dessus.
• (16 heures) •
M.
Gauthier (Benoit) : Oui, bien, ma recommandation par rapport au comité
d'experts, bien, comment je le vois, c'est
vraiment... une principale responsabilité que j'y verrais, c'est d'assurer une
veille pour les... de recommandation des contenus. Parce que, tu sais,
depuis 30 ans, là, il y a une multiplication des contenus, là. Je n'ai pas
de chiffres, mais ça doit être fois 1 000, les contenus qu'on a
accès, par rapport à il y a 20, 30 ans. Puis peut-être que, bon, c'est
peut-être fois 10 000 ou fois 100 000, là, je ne sais pas.
Mais comment les écoles, les parents peuvent s'y retrouver là-dedans? Bien,
c'est là l'idée de ce comité-là, qui pourrait dire : Tel, tel, tel contenu
pour tel âge, c'est adéquat, puis tel, tel, tel contenu pour tel âge, ce n'est
pas adéquat. Puis tous les parents, tout le personnel scolaire pourraient être
au courant de ces recommandations-là puis s'y allier.
M. Ciccone : Merci beaucoup, M. Gauthier. Merci.
M. Gauthier (Benoit) : Ça fait
plaisir. Merci.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci,
M. le député. M. le député de Jonquière.
M. Gagnon : Bonjour,
M. Gauthier, docteur à venir. Fort intéressant.
M. Gauthier (Benoit) : Oui. Merci.
M. Gagnon : Écoutez, dans votre
rapport, vous avez mis une phrase, là, qui... j'aimerais vous donner un peu de
temps, là, là dessus. Vous avez écrit : «Le processus scientifique et
démocratique devrait, à l'inverse, être placé en amont de la production industrielle numérique.» J'adore la phrase.
Maintenant, comment est ce qu'on y arrive? Est-ce que vous pouvez
élaborer?
M.
Gauthier (Benoit) : Oui, Bien, je pense que la réponse que je viens de
donner au député de Marquette y répond en partie, parce qu'avec,
justement, la multiplication des contenus et l'accélération de la production de
ces nouveaux contenus là, ça devient impossible ou illusoire pour la recherche,
pour la démocratie de suivre ça puis d'être en amont de ça, parce que ça va
trop vite, tout simplement. Puis la démocratie, la recherche, c'est des
processus qui sont complexes, donc on se retrouve à être toujours à la remorque
de ça. Donc, c'est là l'idée d'un comité qui dirait : Bien,
nous, on recommande tel contenu puis on ne recommande pas tel contenu. Puis il
ne serait pas obligé de faire le tour de tous les contenus qui existent,
justement, parce que ça serait impossible. Donc, il faudrait que les milieux,
les parents, les milieux scolaires, ils attendent un certain temps, quand il y
a des nouveaux contenus disponibles, que ce comité-là se soit penché dessus et
l'approuve ou non pour telle tranche d'âge. Ça fait que je pense que ça serait
une partie de solution à ce que... à l'énoncé que j'ai mis dans mon mémoire.
M.
Gagnon : Parfait. Ça pourrait passer par l'observatoire, qui
par la suite, après ça, amènerait des recommandations pour les
parlementaires, le gouvernement, le milieu scolaire?
M. Gauthier (Benoit) : Les parents,
oui.
M. Gagnon : Je comprends bien. Merci
beaucoup.
M. Gauthier (Benoit) : Plaisir.
La Présidente (Mme Dionne) : Mme la
députée de Hull.
Mme Tremblay : Bonjour. Donc, merci
de passer un moment avec nous aujourd'hui. Bon, vous, quand je regarde, vous en avez parlé, là, vous faites
partie de la direction de la santé publique. Donc, au niveau de la prévention,
il y a des pédiatres qui sont venus ici, là, ce matin, puis ils ont dit :
Bien, tu sais, on a de plus en plus l'impression qu'on doit outiller,
sensibiliser les parents. Comment vous vous prenez, là, en Montérégie, pour...
puis est-ce que vous sentez qu'ils sont assez outillés, les parents, ou ils
sont... il y a encore beaucoup de méconnaissance en lien, là, avec, justement,
les effets que ça peut avoir chez les enfants puis qu'ils devraient mettre des
mesures en place, notamment la non-utilisation, évidemment, en jeune âge, là?
M. Gauthier (Benoit) : Bien,
d'abord, juste rappeler que je suis ici à titre personnel, donc je ne peux pas
répondre au nom de la Santé publique de la Montérégie, mais je peux quand même
prendre votre question.
Mme Tremblay : ...un petit bout.
M. Gauthier (Benoit) : Oui, c'est
ça. Donc, en fait, effectivement, ce qu'on voit, c'est que, particulièrement
chez les parents, il y a une partie des parents soit qui ne sont pas au courant
des recommandations ou qui sont au courant et qui ne les appliquent peu ou pas.
Donc, effectivement, c'est un défi de rejoindre ces parents-là. Mais, de plus
en plus, ce à quoi on pense, c'est qu'il faudrait trouver des contextes où les
parents sont... j'aime dire captifs, là, mais,
tu sais, comme les rencontres de parents, ou des endroits, ou des moments, ou
des contextes que tous les parents passent par là, tu sais, par exemple
le guide pratique de l'INSPQ pour les nouveaux parents, qui est donné à tous
les nouveaux parents. Ça fait qu'il faudrait penser à des contextes comme ça,
qu'on atteint presque systématiquement tous les parents pour leur transmettre
des informations de base par rapport au bon usage des écrans, qui sont, pour
les plus jeunes, surtout... le moins est le mieux.
Mme Tremblay : On l'intégrerait dans
le guide ou on ferait vraiment... comme c'est un problème quand même important,
on ferait... sur lequel on veut tellement attirer l'attention des parents,
parce que, les conséquences, dans la vie des enfants puis l'impact que ça a sur
leur développement... Est-ce que ça serait... on pourrait produire, à ce
moment-là, un guide qui est vraiment à part? Parce qu'à travers la grosse brique
qui est donnée aux parents, là... Vous comprenez?
M. Gauthier (Benoit) : Oui, je suis
d'accord que la grosse brique, là, qui est rendue à 820 pages... je crois,
effectivement, ça serait bien de penser à quelque chose de parallèle qui serait
comme... qui ressortirait plus et qui serait plus tape à l'oeil, tu sais? Ça
pourrait être, par exemple, affiché dans toutes les garderies où les parents se
rendent chaque jour. Donc, il faudrait penser à des moyens pour être sûr,
justement, qu'au moins chaque parent soit minimalement exposé à ces
recommandations de base là qu'on veut.
Mme Tremblay : Je vous ramène à
l'école. Donc, vous dites : Bon, avant la cinquième année — je
pense que c'est ce que vous avez dit, là — donc pas d'utilisation des
écrans. On pourrait même retirer les tableaux blancs, là, de la classe, puis il
n'y aurait aucune différence. Donc, on revient plus à l'effet enseignant,
vraiment, la relation avec l'enfant. Il y a des classes qu'il n'y a plus de
tableau, hein, il y a juste le tableau blanc, je ne sais pas si vous avez vu,
là.
M. Gauthier (Benoit) : Oui, je suis
au courant.
Mme Tremblay : Ça demanderait de
réinstaller... Moi, je me suis battue, j'étais enseignante, là, pendant de
nombreuses années, pour qu'ils me gardent une partie de tableau, là, donc...
Mais, oui, ça fait que... mais, à travers tout ça, on donne aussi des outils
aux jeunes enfants, tu sais, les enfants qui ont des difficultés
d'apprentissage, on leur donne des outils, aussi, là, donc un ordinateur. Donc,
qu'est-ce que vous en pensez, de ça?
M.
Gauthier (Benoit) : Oui, c'est une bonne question, puis je pense que
c'est un élément qui est revenu beaucoup dans la commission. Puis je dirais
que, comme pour le reste, les effets positifs des écrans, de l'utilisation de
la technologie, pour les enfants qui ont des besoins particuliers... elle est
beaucoup moins démontrée qu'on le pense. Des études qui comparent un groupe de
jeunes à besoins particuliers à un autre jeune... groupe de jeunes à besoins
particuliers, puis, un groupe, on leur donne des écrans puis, un autre groupe,
on leur donne d'autres sortes de moyens, je n'ai pas trouvé d'études comme ça.
Des revues de littérature que j'ai consultées, les études qu'on se sert pour dire, pour confirmer les prétendus bénéfices,
souvent c'est des... J'en ai vu une, c'était une étude qui avait trois jeunes
qui avaient été interrogés de manière qualitative. Je ne comprends pas comment
un article comme ça peut être publié, là, en premier lieu. Mais il faut garder
en tête, là...
Puis c'est un peu ça,
dans la recherche, dans les rapports, souvent on a une impression
d'équivalence, un peu, entre les bienfaits, d'un côté, puis les effets
négatifs, mais, dans la recherche, ça ne repose pas du tout sur la même donnée,
là. Les effets négatifs sont démontrés sur des grandes... des grandes... des
grands échantillons, sur des... avec des études longitudinales, tandis que les
effets prétendument positifs, souvent ils reposent sur beaucoup moins de
données probantes, sur des très petites études avec peu de cas, des contextes
expérimentaux très contrôlés, dans lesquels il y a beaucoup de si qui viennent
avec les bienfaits, puis ces si-là, souvent, sur le terrain, ils ne sont pas
vraiment rencontrés.
Donc, moi, au
primaire, je n'aurais aucun problème, je pense qu'il n'y aurait aucune perte, à
ce que tous les enfants n'aient pas accès
aux écrans. Je ne pense pas... je pense qu'il n'y a pas de recherche qui peut
nous dire qu'il y a des risques à enlever les écrans au primaire avant
la cinquième année.
Mme
Tremblay : Parfait. Merci.
La Présidente (Mme
Dionne) : Merci. Mme la députée d'Iberville.
Mme
Bogemans : Oui. Bien, sur le même sujet, tu sais, au niveau des
études, mais... Tu sais, vous dites : L'article était basé sur trois... tu
sais, trois entrevues qualitatives, là, mais, vous ou la Santé publique, est-ce
que vous êtes allés dans les écoles pour voir comment ça se passait pour les
élèves à besoins particuliers?
M. Gauthier
(Benoit) : Oui. Puis, encore une fois, je ne peux pas parler au nom de
la Santé publique aujourd'hui, mais c'est
sûr qu'il y a quand même... Ça se parle, sur le terrain, de comment ça...
qu'est-ce qui fonctionne, qu'est-ce qui fonctionne moins. Mais les échos sur le
terrain, c'est... ça rejoint un peu qu'est-ce que je viens de dire, c'est-à-dire que, oui, dans... quand le
contexte de l'introduction de la technologie, pour un jeune qui a des besoins
particuliers, est optimal, c'est-à-dire que c'est un appareil qu'il a juste à
l'école puis qu'il a accès juste à ces deux, trois logiciels qui l'aident, puis
il sait comment l'utiliser, il est motivé à l'utiliser, il y a son enseignant
qui lui donne le bon... la bonne
rétroaction, quand tout ça est réuni, là, on voit des effets positifs. Mais,
dès que tout ça n'est pas réuni, puis souvent, en fait, sur le terrain,
c'est ça qui se passe, c'est que toutes ces conditions-là ne sont pas réunies,
bien, ça devient plus négatif qu'autre chose.
Puis
il faut aussi garder en tête, par rapport à ça... c'est que, souvent, les
jeunes qui ont des besoins particuliers, c'est les jeunes qui présentent
plus de vulnérabilité. Puis les jeunes qui présentent plus de vulnérabilité,
bien, ils sont aussi plus vulnérables aux effets négatifs des écrans. Donc, il
faut garder ça en tête aussi.
• (16 h 10) •
Mme
Bogemans : Merci.
La Présidente (Mme
Dionne) : Mme la députée de Châteauguay.
Mme Gendron :
Merci. Bonjour, M. Gauthier. Merci d'être avec nous. Vous avez dit
quelque chose, d'entrée de jeu, vous avez dit que ça nuit au potentiel humain.
C'est quand même une phrase lourde de sens. Je pense que, dans une ère où est-ce qu'au contraire on pense que la technologie
nous amène plus loin... Je comprends votre point de vue, c'est un peu
différent de ce que je pouvais m'attendre.
Moi, ce que j'aurais
aimé parler avec vous... Vous êtes chargé de cours, vous enseignez, vous êtes
en lien, vous voyez des enfants, vous les
accompagnez... bien, chargé de cours à l'université, mais vous accompagnez
également des jeunes. Donc, je ne doute pas une seconde que tout
l'écosystème universitaire est basé beaucoup, beaucoup sur la technologie, sur les écrans. Je ne doute pas une
seconde que vous avez... bon, vous êtes sur votre ordinateur, j'imagine,
quand vous êtes chargé de cours, que vous avez des tableaux, tout ça. Comment
faire aujourd'hui pour mettre des règles ou contrôler, justement, ça, pour
limiter ça? Tu sais, tantôt on parlait de guide. Est-ce qu'on irait vers un
guide aussi pour les employeurs, pour les professeurs, pour les travailleurs
des réseaux? Parce que, concrètement, en ce moment, tout est basé là-dessus,
sur la technologie, sur les écrans. Vous avez parlé, un peu plus tôt, de
motivation intrinsèque. Tu sais, comment faire, à cette étape-ci, pour apporter
les changements nécessaires, selon votre vision?
M. Gauthier
(Benoit) : Bien, dans mes propos, c'est sûr qu'il y a quand même une
distinction, pas complète mais graduelle, entre les enfants et, éventuellement,
les adolescents et les adultes. Donc, dans le monde adulte, tu sais, j'ai moins de problèmes à ce que les écrans
occupent une certaine place. Mais, quand même, pour répondre à ce à quoi
vous avez fait allusion, mes cours que je donne, moi, j'utilise un PowerPoint,
mais j'encourage mes étudiantes, étudiants à
être papier, crayon, puis la plupart y vont avec ça, puis je rends ça très
interactif, puis finalement ils aiment beaucoup ça. Donc, on se passe
pratiquement d'écran, puis ça se passe très bien.
Mais après ça, c'est ça,
mes recommandations concernent beaucoup plus le début de la vie parce que,
justement, c'est là que les habitudes... vous avez parlé de motivation
intrinsèque versus extrinsèque, c'est là que ces plis-là s'ancrent pour la
suite. Donc, que les écrans soient trop présents au début de la vie, bien, non
seulement ça a des effets sur la posture,
sur la vision, etc., mais aussi, justement, sur le type de motivation, sur
l'habituation à recevoir des petites doses... des microdoses de dopamine. Donc,
ça éloigne un peu de la... de tout qu'est-ce qui est riche dans la
relation puis l'apprentissage qui est exempt d'écran.
Donc,
vraiment, mes recommandations concernent plus ce que j'ai nommé plus tôt, donc
le service de garde, les services de garde en milieu scolaire et le
primaire jusqu'à la quatrième année. Après ça, tu sais, je pense qu'ils peuvent
être intégrés graduellement, parcimonieusement. Puis le comité d'experts dont
j'ai parlé pourrait fournir une partie des
recommandations sur qu'est-ce qui peut être intégré graduellement à la fin du
primaire, au secondaire. Après ça, au cégep, à l'université, je ne pourrais pas
vous répondre plus spécifiquement par rapport à ça, sur comment je verrais ça,
là.
Mme
Gendron : Parfait. Puis, pour maximiser, justement, la
motivation intrinsèque chez les jeunes, avez-vous des pistes d'idée à
nous soumettre?
M. Gauthier (Benoit) : Bien, pas
nécessairement, spécifiquement, autre que que les écrans ne soient pas trop
présents. Parce que, justement, les écrans, vu que beaucoup de leur application
repose sur les récompenses, les mécanismes de jeux de hasard et d'argent, bien,
ça induit une motivation plus extrinsèque chez les enfants, puis ce n'est pas ça qu'on veut. Parce qu'en termes
d'apprentissage, la motivation intrinsèque, c'est-à-dire qui est liée à l'estime
de soi puis, bon, à plein d'autres choses
qui sont plus positives, c'est ça qu'on veut, qui est plus positif pour les
apprentissages.
Mme Gendron : Merci beaucoup, M.
Gauthier.
M. Gauthier (Benoit) : Ça fait
plaisir. Merci à vous.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
Mme la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme Cadet : Merci, Mme la
Présidente. Bonjour, M. Gauthier, merci pour votre exposé ainsi que pour
le mémoire que vous nous avez transmis.
Bien, en fait, là, vous venez de le mentionner, donc, vous, vous vous préoccupez
beaucoup plus, donc, des... de la pratique, surtout, donc, au début de la... au
début du développement de l'enfant puis vous faites cette distinction-là entre
l'enfant, donc, l'adolescent et, par la suite, le jeune adulte. Je comprends
bien qu'on... puis je pense que ça, vous l'écrivez, là, qu'il n'y a pas d'étude
longitudinale, ce ne serait pas possible, donc, éthiquement, donc, de pouvoir
le faire et de voir cet effet-là sur le long terme.
Mais, juste pour bien saisir, tu sais, de
ramasser ça en un seul propos, donc, au-delà de ce qu'on a beaucoup entendu, en
petite enfance, comme impact, donc le développement sur le langage, sur la
régulation des émotions chez des jeunes
enfants, la captation de l'autonomie, qu'est-ce que vous, vous prédisez comme
impact, donc, chez les enfants qui
auraient cette surexposition aux écrans au début de la vie et... parce que vous
parlez, donc, de ces habitudes-là qui sont prises dès le départ, là, et
quels types d'habitudes, à quoi pourraient ressembler, donc, les problématiques
avec lesquelles ils pourraient composer plus tard?
M. Gauthier (Benoit) : Oui, bien, je
vais vous répondre tout en faisant du pouce avec la question... sur la question
précédente, là. Je vais ramener l'idée que... de l'incompatibilité entre la...
les mécanismes de captage de l'attention et la surexposition qu'ils induisent,
et le développement du potentiel.
Donc, en fait, c'est pas mal démontré dans la
recherche que toutes les sphères du développement y passent quand il y a une
surexposition aux écrans. Donc, les habiletés sociales, la sphère cognitive,
les habiletés physiques, le développement affectif, social, donc, tout y passe.
Alors, on peut penser à des jeunes qui développent moins leurs compétences
physiques, on peut penser à des jeunes qui ont moins d'habiletés sociales, on
peut penser à de jeunes qui ont un attachement plus insécure, des compétences
affectives moindres, on peut penser à des jeunes qui sont plus dépendants de motivations extrinsèques, donc qui
dépendent plus de stimuli externes pour se motiver plutôt que d'être capables
de s'activer par eux-mêmes puis de croire en leurs propres capacités. Puis,
bon, on peut penser à des jeunes qui
développent un moins bon langage, on peut penser à des jeunes qui ont plus de
myopie, ça, c'est documenté aussi, on peut penser à des problèmes de
posture, on peut penser à des jeunes qui sont plus sédentaires, qui ont plus de
risque de diabète de type 2, qui ont plus de risque de surpoids. Je ne
sais pas si...
Mme
Cadet : Donc, ce que vous dites, c'est qu'au-delà de...
au-delà de l'article, mon collègue, un peu plus tôt, parlait, bon, d'un article qui était sorti dans La
Presse en novembre dernier, là, qui... où des enseignants, donc, sonnaient
l'alarme, donc, des enfants de cinq, six
ans. Ce qu'on peut constater, là, c'est qu'en fait, donc, des profs de cégep
pourraient, un peu plus tard,
constater exactement, donc... bien, évidemment, pas tout à fait la même chose,
là, mais des dissimilarités par
rapport aux cohortes précédentes et aux cohortes suivantes qui ont été
surexposées aux écrans dès la petite enfance?
M. Gauthier (Benoit) : Puis, en
fait, on le constate quand même déjà, là. Dans les études de cohortes, en
Amérique du Nord, clairement il y a une diminution de la santé et des
capacités, de la santé mentale, d'une cohorte à l'autre. On le voit,
d'ailleurs, les chiffres de l'Enquête québécoise sur la santé des jeunes du
secondaire, qui viennent de sortir, on le voit assez clairement que ça diminue
d'une cohorte à l'autre.
Mme Cadet : Au-delà
de leur... souvent, ces études-là, donc, on mettait beaucoup l'accent sur la
pandémie, donc, sur une surexposition très,
très, très récente aux écrans. Donc, ce que vous dites, c'est qu'il y aurait
potentiellement aussi une corrélation avec une surexposition dès la
petite enfance et non pas juste pendant cette période-là de surcharge des
écrans?
M. Gauthier (Benoit) : Bien oui,
tout à fait. Puis la pandémie, là, il ne faut pas... Ce qu'on remarque de plus
en plus dans la recherche, puis c'est pour ça qu'on n'en parle pas tant que ça,
c'est que c'est assez... ça fait assez consensus
que la pandémie, au niveau des écrans, ça a juste exacerbé quelque chose qui
était déjà en marche, là, donc...
Mme Cadet : Il y avait déjà une
tendance.
M. Gauthier (Benoit) : Oui.
Mme Cadet : Le titre de votre
mémoire est assez parlant, parce qu'en fait vous dites : La
nécessité de cantonner les objets du numérique à leur place d'outil. Donc,
vraiment, essentiellement, donc, ce que vous dites, donc, les usages ludiques,
on le réduit, donc, le plus possible. On a parlé, donc, de regarder un film
avec interactions parents-enfants, ça, on l'a beaucoup entendu, mais que, tout
ce qui est numérique, on le réduirait à l'usage d'outil. Donc, les différentes recommandations... les
questions qu'on a posées à d'autres intervenants avant vous, sur le cellulaire
à l'école et sur la majorité numérique, j'aimerais vous entendre là-dessus.
M. Gauthier (Benoit) : Oui. Bien,
d'abord, pour ce qui est de la place d'outil, ça peut être, comme vous l'avez dit,
un outil de divertissement à l'occasion, puis ça peut être un outil dans
différents contextes, divers... différents lieux, différents moments, mais
l'idée, c'est qu'on l'utilise quand on en a vraiment besoin, puis ça ne revient pas à quelque chose qui prend toute la
place puis qui est au centre de notre vie. Donc, c'est ça, la distinction à
faire.
Pour ce qui est de... Vous m'avez demandé la
majorité numérique et...
Mme Cadet : Et le cellulaire à
l'école, l'interdiction du cellulaire à l'école.
M. Gauthier (Benoit) : Oui, le
cellulaire à l'école. Bien, ça, ça, ma recommandation est claire là-dessus, ça,
ça ne devrait pas... je pense qu'on devrait aller de l'avant à mettre ça mur à
mur, au Québec, au primaire et au secondaire, qu'il n'y ait aucun appareil
personnel mobile qui soit utilisé par les enfants du matin jusqu'à la fin de
l'école. Puis... bien, en fait, il y a déjà des écoles qui le font, puis ça se
passe...
Mme Cadet : Oui, puis on les a
visitées, aussi.
M. Gauthier (Benoit) : Les
résultats... les données restent encore à venir, mais, à date, les résultats
sont probants. Pour ce qui est de la majorité numérique, tu sais, comme j'en ai
parlé dans mon exposé, au début, tu sais, moi, je ne ciblerais pas
nécessairement juste les réseaux sociaux. Pour moi, les autres types d'usages
peuvent être problématiques aussi. On sait que les jeunes, au-delà des réseaux
sociaux, sont... jouent beaucoup aux jeux vidéo en ligne puis visionnent
beaucoup de vidéos.
• (16 h 20) •
Puis ce que je propose : avant 14 ans,
que l'usage privé soit restreint, c'est-à-dire qu'avant cet âge-là
l'utilisation des écrans par les jeunes se fasse seulement dans les espaces
communs, en présence d'adultes. Bien, ça vient
un peu, disons, apporter une solution à ça. Parce que, tu sais, je pense que,
beaucoup d'intervenants, on s'entend qu'avant un certain âge on n'a pas
la maturité pour être confronté à différents types de contenus, mais... Puis je
pense que ça serait difficile et laborieux
d'essayer d'empêcher les jeunes d'être confrontés à ces contenus-là parce que,
comme je l'ai dit tantôt, ça
demanderait la collaboration des géants du numérique, ce qui est loin d'être
assuré. Mais, en favorisant le visionnement dans les espaces communs,
bien, quand les jeunes sont confrontés à du contenu qui est moins adéquat, ce qui est inévitable, selon moi, bien,
ils ont les adultes autour pour intervenir, puis pour en discuter, puis pour
jauger, puis pour, peut-être, changer de contenu, finalement.
Donc, je pense que c'est une solution qui est
plus... pour moi, ça a plus de faisabilité que de vouloir instaurer une
majorité numérique, de vouloir, tu sais, bloquer différents contenus. Je pense
que c'est... je ne vois pas comment on peut réalistiquement faire ça.
Mme Cadet : Merci beaucoup. Puis,
oui, le cellulaire, on a visité plusieurs écoles, quelques écoles où c'était le cas, là, et effectivement les étudiants
eux-mêmes, les élèves eux-mêmes nous disaient à quel point ça avait transformé
leur parcours académique. Merci beaucoup, M. Gauthier.
M. Gauthier (Benoit) : Merci à vous.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci.
M. le député de Marquette.
M. Ciccone : Merci beaucoup, Mme la Présidente. M. Gauthier, je veux
juste revenir sur un petit point. Je vous écoute depuis tantôt, puis on met
beaucoup la responsabilité sur les adultes qui entourent nos jeunes, et à
raison, selon moi.
Cependant, on dit que la meilleure chose quand on a une problématique
personnelle, un, c'est de le reconnaître, de l'avouer et par la suite on
va être capable de régler cette problématique-là.
Moi personnellement, puis je ne veux pas parler
pour mes collègues, là, mais, dans le milieu où on vit, puis ce n'est pas juste
nous autres ici, à l'Assemblée nationale, comme législateurs, mais on est
beaucoup sur nos... nos écrans numériques, sur notre téléphone, on travaille
beaucoup sur nos écrans. Alors, moi, je considère que je suis dépendant. Je
quitte la maison, j'oublie mon téléphone, j'ai une crise d'angoisse, là, je dois
revenir le chercher, ça n'a pas de bon sens. Mais on donne beaucoup la
responsabilité aux adultes, à des gens comme nous, mais, nous étant dépendants,
sommes-nous les meilleures personnes pour, justement, régulariser le tout, là,
avec nos jeunes, alors que nous-mêmes, on a cette problématique-là? On n'est
pas pris dans un étau, là, à quelque part?
M.
Gauthier (Benoit) : Oui, effectivement, c'est un très bon point que
vous amenez. Parce qu'effectivement, pour
que les adultes, on encourage des bonnes pratiques chez nos jeunes, bien,
effectivement, il faut... On est des modèles pour nos jeunes, tu sais,
ça, c'est un principe de base du développement. Donc, oui, il y a une
reconsidération de la place que les écrans occupent dans la vie adulte qui peut
être faite.
Je ne pense pas qu'il faudrait que... Tu sais,
moi, pour le travail, je pense que je n'ai pas de problème, tu sais, parce que c'est un outil de travail. Tu sais,
quand je parle de cantonner à sa place d'outil, je pense que ça s'inscrit
là-dedans. Mais c'est tous les autres usages en dehors de ça puis aussi
l'extension du travail en dehors des heures, à cause de tous les appareils
mobiles, donc...
Puis, tu sais, il faut savoir aussi que les
écrans, avec toutes les possibilités qu'ils offrent, ces possibilités-là se
transforment rapidement en attentes et même en impératif de plus de
productivité puis d'être plus présent. Puis, bon, sûrement que, les autres
personnes qui sont présentes avec vous, sûrement qu'il y en a qui sont en train
de consulter d'autres contenus, de répondre
à un courriel, de regarder un article qu'on leur a envoyé. Donc, tu sais, ça a
créé un peu cet impératif-là de devoir tout le temps être à l'affût de
tout ce qui se dit, de tout ce qui sort.
Donc, je pense qu'au-delà de... que ça demeure
un outil de travail, ça va, mais il faut considérer, en dehors de ça, à quel
point ça contribue à... Tu sais, il y a beaucoup de parents qui se sentent
débordés. Bien, il faut se poser la question,
les écrans ont un rôle à jouer là-dedans. Donc, je pense qu'il faudrait
réapprendre, en dehors du travail, à y aller plus lentement, à être
plus... à passer davantage de moments de qualité sans écran, plutôt qu'à chaque
fois qu'on a un temps libre d'aller combler avec un écran, ce qui, finalement,
nous relaxe à court terme mais contribue à notre stress constant sur le moyen,
long terme. Donc, effectivement, il y a une remise en question à faire à ce
niveau-là.
M. Ciccone : Merci beaucoup.
La
Présidente (Mme Dionne) : Merci. Merci beaucoup, M. Gauthier. C'est
tout le temps qu'on a, malheureusement. Alors, je vous remercie beaucoup
pour votre contribution à ces travaux.
Pour ma part, je suspends quelques instants pour
accueillir notre prochain témoin. Merci.
(Suspension de la séance à 16 h 26
)
(Reprise à 16 h 30)
La Présidente (Mme Dionne) : La
commission reprend maintenant ses travaux.
Donc, nous accueillons le dernier témoin de
cette journée, Mme Céline Castets-Renard. Donc, bonjour,
Mme Castets-Renard, bienvenue à cette commission et merci d'avoir accepté
d'y participer. Donc, vous disposez de 10 minutes pour nous présenter
votre exposé, et suite à cela on procédera à une période d'échange avec les
membres de la commission. Donc, la parole est à vous.
Mme Céline
Castets-Renard
Mme
Castets-Renard (Céline) : Merci, Mme la Présidente. Merci, MM. et Mmes les
députés, de m'accueillir. Je suis extrêmement heureuse et honorée de vous
parler aujourd'hui. Je suis Céline Castets-Renard, je suis professeure
de droit à la Faculté de droit civil de l'Université d'Ottawa et titulaire de
la Chaire de recherche du Canada sur le droit international et comparé de
l'intelligence artificielle.
Et donc, aujourd'hui, en effet, je vais évoquer
avec vous certains enjeux et risques juridiques, mais aussi sociaux pour les
enfants qui seraient trop attachés à leurs écrans. Je vais commencer par un
certain nombre de constats, et puis ensuite nous verrons quelles sont les
réponses juridiques, éventuellement, déjà en place et, encore plus éventuellement, ce que l'on pourrait
envisager. Donc, ma perspective sera, évidemment, principalement juridique.
Donc, sur les enjeux et les risques sociaux, je
pense que vous les avez très certainement déjà beaucoup identifiés, pour la
plupart d'entre eux en tout cas, j'imagine bien, les risques liés à la santé,
que ce soit la santé physique ou mentale des enfants, hein, on voit des
augmentations de risque de sédentarité, d'obésité, d'un certain nombre de
jeunes qui seraient trop exposés aux écrans, on voit aussi des enjeux liés au
sommeil et on s'interroge aussi sur l'impact que pourrait avoir une exposition
trop importante aux écrans, impacts pour les yeux, pour la vue, pour la myopie,
même si c'est un sujet qui n'est pas encore forcément tout à fait prouvé par
les scientifiques. On sait aussi qu'il y a un phénomène d'addiction, un
phénomène aussi de récompense sociale, pour les jeunes qui sont exposés aux réseaux... à l'utilisation des réseaux sociaux,
et en particulier les filles, qui sont souvent surexposées et qui sont parfois,
même... très, très souvent même, sont exposées à être sexualisées ou à
s'exposer en ce sens de manière plus ou moins volontaire ou contrainte par la
pression sociale. On voit aussi que l'addiction est liée à des algorithmes de
captation d'attention. Et évidemment tous ces phénomènes d'addiction sont liés
au mode de fonctionnement des réseaux sociaux et sont liés aussi au mode de
fonctionnement des jeux vidéo, que je voudrais aussi intégrer dans le débat, si
vous permettez. On sait, bien sûr, aussi qu'il y a des risques de manipulation
d'opinion. Ces risques-là existent pour tout utilisateur des réseaux sociaux et
de certaines sources. Ce n'est pas quelque chose qui est propre aux enfants,
mais les enfants n'ont certainement pas encore le recul pour comprendre qu'ils
se font manipuler.
On voit aussi qu'il y a des problèmes liés aux
bulles algorithmiques informationnelles, que l'on connaît bien, au-delà des
enfants. Et on peut aussi s'inquiéter d'une exposition importante, qui a été
prouvée, à la violence, au contenu pornographique et pédopornographique, à des
contenus à caractère haineux, et ce, en dépit du fait qu'en principe ces
contenus ne devraient pas être accessibles à des mineurs.
On voit que la question de la récompense
sociale, de l'image de soi, du harcèlement, de la mise en scène est
particulièrement importante aussi, comme je l'ai déjà mentionné, pour les
jeunes femmes et les jeunes filles. On voit qu'il y a une représentation
souvent stéréotypée, des images souvent, donc, sexualisées et des violences
sexistes et sexuelles qui se perpétuent...
surtout sexistes, qui se perpétuent sur les réseaux et, de plus en plus aussi,
malheureusement, l'émergence de discours masculinistes.
Je voudrais ajouter à ces constats un dernier
élément, qui concerne le mythe du «digital native». On a toujours... on a
souvent tendance à penser que les jeunes maîtrisent les réseaux sociaux parce
qu'ils sont nés avec, maîtrisent le
numérique parce qu'ils sont très à l'aise avec l'utilisation de ces outils. Et
pourtant des études ont montré que la
littératie numérique, donc, la véritable maîtrise des instruments, et en
particulier des paramètres de confidentialité, est souvent limitée et
n'atteint pas le niveau que l'on pourrait attendre par rapport à l'usage qu'ils
peuvent faire de ces outils.
Alors, c'est un ensemble de constats. Ces
constats ne sont pas exhaustifs, mais je pense que ce sont les principaux, en
tout cas, qui me viennent à l'esprit. Et donc, pour essayer de faire face à ces
enjeux, que peut-on envisager d'un point de vue juridique? Alors, du point de
vue du droit, on sait qu'on a déjà, quand même, des réponses législatives,
hein? Je pense en particulier à la législation sur la protection des
renseignements personnels, la loi
n° 25 que vous avez adoptée récemment et qui protège tout un chacun
de l'exploitation des renseignements personnels, et en particulier des
renseignements personnels des mineurs. Donc, c'est un outil évidemment
intéressant. Pour...
(Panne de son)
La Présidente (Mme Dionne) : Nous
avons quelques petits problèmes techniques.
Nous allons suspendre quelques instants.
(Suspension de la séance à 16 h 36)
(Reprise à 16 h 38)
La Présidente (Mme Dionne) : Donc,
la commission reprend maintenant ses travaux. Donc, vous pouvez poursuivre.
Mme Castets-Renard (Céline) : Merci,
Mme la Présidente. Donc, j'étais en train d'exposer les éventuelles limites du
cadre juridique actuel. Donc, j'évoquais le Code civil du Québec à l'instant,
qui protège le droit à l'image mais qui
n'est pas bien adapté aux risques que peuvent poser les «deepfakes», qui sont
des images trafiquées, des images de
synthèse, des fausses images fabriquées par l'intelligence artificielle et qui
ne correspondent... dont les caractéristiques techniques ne
correspondent pas bien à la définition de la protection du droit à l'image. Et
d'ailleurs je signale au passage que le gouvernement de l'Alberta réfléchit à
légiférer sur la question des «deepfakes» en particulier pour protéger les
mineurs et pour protéger les femmes, aussi, des contenus souvent fabriqués, des
contenus de caractère sexuel souvent artificiellement fabriqués.
Et je voudrais, donc, aussi évoquer... J'étais
en train d'exposer les limites que peut présenter la loi sur le cadre juridique
des technologies de l'information, s'agissant de la modération des contenus.
Cette loi, donc, adoptée en 2000, avait alors pour objectif, d'une certaine
manière, d'éviter la mise en oeuvre de la responsabilité des intermédiaires
techniques, mais aujourd'hui...
(Panne de son)
La Présidente (Mme Dionne) : Nous
allons suspendre les travaux quelques... Ah! on vient de...
Mme Castets-Renard (Céline) : C'est
bon. Je suis là.
La
Présidente (Mme Dionne) : Oui, O.K., parfait. Vous pouvez poursuivre. On a
des petits problèmes de connexion.
Mme Castets-Renard
(Céline) : Donc, la modération des contenus qui ne correspond plus...
en tout cas, la façon dont on caractérisait
ces intermédiaires techniques ne correspond plus à ce que sont les plateformes
aujourd'hui, et au rôle actif qu'elles jouent sur le contenu qu'elles nous
laissent voir, et sur le fait, évidemment, que ces plateformes ont un
rôle actif sur le maintien et l'addiction des jeunes sur les réseaux sociaux,
par exemple. Donc, certainement qu'il faut aussi réfléchir à un peu plus
d'engagement de la responsabilité des acteurs ou, en tout cas, leur demander un
petit peu plus de mettre en oeuvre des mesures pour protéger les mineurs.
• (16 h 40) •
On peut penser aussi au droit de la
consommation, et aux caractéristiques, et aux contenus informationnels que
peuvent avoir les conditions générales d'utilisation des sites Internet.
Parfois, il arrive que des sites Internet prévoient des mesures protectrices
des mineurs, mais elles ne sont pas très accessibles, très connues. Et donc
c'est aussi un enjeu qui peut être soulevé du point de vue du droit de la
consommation.
On peut aller aussi plus loin si on veut
réfléchir à avoir un peu plus d'accès à l'opacité des algorithmiques
addictogènes. On peut penser aussi réfléchir à engager une éventuelle
responsabilité ou, en tout cas, des mesures à l'égard des constructeurs,
s'agissant du paramétrage... des paramétrages de certains outils pour éviter
une exposition trop longue, trop importante
aux écrans et peut-être aller, ce sont des propositions qui circulent parfois,
aller jusqu'à un droit au paramétrage, le droit de choisir ce que l'on
peut voir, ne pas voir, et aussi de décider des temps d'utilisation.
S'agissant
des jeux vidéo, je pense que, là, il y a vraiment un travail à effectuer un peu
différent parce qu'il y a des risques un peu différents liés à des jeux
d'argent, à des jeux continus, à des jeux en ligne, en réseau. Et on peut aussi s'interroger sur l'impact de plus
important... de plus en plus important que va avoir l'intelligence artificielle
pour personnaliser de plus en plus les jeux, et notamment les caractères
qui ne sont pas des joueurs dans les jeux mais qui peuvent influencer peut-être
le comportement des jeunes.
En tout cas, il faut, à mon avis, réfléchir
aussi à des solutions technologiques de manière générale et ne pas tout faire
reposer sur les parents et sur le contrôle parental, parce qu'on sait très bien
que les parents se font avoir souvent par
leurs enfants et que les enfants savent très bien contourner les limites de
contrôle parental. Donc, peut-être faut-il penser un peu plus activement
à des moyens techniques.
De façon plus générale, d'autres politiques
publiques, bien sûr, devraient être envisagées, au-delà des armes purement
juridiques, des instruments juridiques, bien sûr, tout ce qui est éducation de
la jeunesse, tout ce qui est formation des parents, formation des enseignants
aussi, parce qu'il y a un lien à établir entre l'école et la maison, et il faut
certainement mieux outiller aussi bien les parents que les enseignants.
Pour conclure, je voudrais simplement dire que
cette question de protection des enfants, à mon avis, a deux grands... recèle
deux grands enjeux de société particulièrement importants. Il s'agit de lutter
contre la captation, la manipulation, voire l'asservissement de la jeune
génération. Donc, évidemment, ce n'est pas un petit sujet. Et aussi peut-être
que c'est un... Il y a une deuxième dimension peut-être moins visible, il
s'agit aussi de lutter contre les inégalités socioéconomiques et aussi les
inégalités de genre, parce que, je l'ai soulevé à plusieurs reprises, les
filles sont particulièrement... les jeunes filles sont particulièrement
vulnérables, vulnérabilisées sur ces réseaux sociaux.
Je vous remercie de votre attention, et bien sûr
il me fera plaisir de vous répondre si vous avez des questions.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci
infiniment, Mme Castets-Renard. Donc, effectivement, nous allons procéder
à la période de questions avec Mme la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme Cadet : Merci beaucoup, Mme
la Présidente. Bonjour, Mme Castets-Renard. Merci beaucoup pour votre exposé. C'est bien intéressant, au départ,
que vous nous parliez, donc, de cette perception que nous avons de la jeune
génération et de leur littératie numérique, parce qu'ils sont très, très
habiles sur les outils mais n'ont pas nécessairement, donc, toutes les
compétences afférentes pour être capables, donc, de bien naviguer de façon
sécuritaire sur toutes ces plateformes. Donc, c'est devenu un peu notre
responsabilité comme législateurs.
Ma première question. Vous avez mentionné
l'importance de la protection des renseignements personnels. Si vous avez
écouté, bien, vous savez que la question de la majorité numérique est revenue à
de nombreuses reprises. Ils ont... De
multiples experts du côté de la santé publique, donc, émettent cette
recommandation-là, donc, pour toutes sortes de motifs, en nous disant :
Bien, il faudrait, donc, que les enfants, donc, y aient moins... peu ou pas
accès. Bien, c'est certain que la question de la protection des
renseignements personnels de ces mineurs se pose. Si on veut qu'une telle
mesure soit efficace, bien, il faudrait être en mesure, donc, de l'appliquer.
Et donc la question des renseignements personnels se pose. Je veux savoir quel
est votre avis là-dessus.
Mme Castets-Renard (Céline) : Alors,
à mon avis, il y a deux aspects. Il y a un aspect qui concerne l'âge de l'accès
ou à quel moment peut-on penser qu'il faut... bien, qu'on pourrait penser à un
environnement sécuritaire pour les enfants. Je voudrais... Je ne sais pas si
vous avez eu connaissance, probablement que oui, mais, au cas où, je vous le mentionne quand même... Vous avez
peut-être vu un rapport qui a été
fait en France sur les enfants et les écrans, À la recherche du temps
perdu, en avril dernier, et ils prévoient justement... Ils encouragent, ils
recommandent tout un parcours en fonction de l'âge des enfants. Je trouve que
c'est effectivement une réponse intéressante, parce qu'on peut être assez
effrayé de voir à quel point les jeunes vont sur les réseaux sociaux très, très
tôt, et ils ne maîtrisent absolument rien.
Donc, ça me paraît être un... ça paraît être un
peu sévère et un peu dur de prévoir ce genre de limite d'âge, mais c'est
probablement la chose qui serait la plus efficace, parce que, finalement, les
enfants ne sont pas en mesure de se protéger eux-mêmes et n'ont pas trop
conscience des dangers, et les parents, pas toujours non plus. Même si j'ai quand même... Je me pose quand même des questions sur
ce qu'on peut dire et faire en tant que législateurs. Si je me mets à votre
place, il y a forcément une forme de paternalisme à prévoir ce genre de mesure.
Donc, ce n'est pas toujours évident.
Ça relève
aussi de l'intimité des familles. Donc, se mêler de l'éducation, c'est toujours
un petit peu compliqué, mais, si
c'est un discours global, expliqué... Évidemment, ça ne doit pas être le genre
de... la seule mesure, que de poser des
interdictions ou, en tout cas, de fortes recommandations. Si c'est expliqué et
qu'il y a aussi un travail pédagogique avec les écoles, ça peut avoir non
seulement une certaine efficacité, mais aussi ça peut être bien reçu par les parents
éducateurs qu'ils prennent aussi le sujet en main.
Quant à la
protection des renseignements personnels elle-même, donc, c'est le deuxième
aspect, très honnêtement, quelle que soit la législation, je trouve que,
bien, les législations ne seront jamais suffisantes parce que, très souvent,
elles reposent sur le consentement, et là il faut que ce soit le consentement
des parents, le consentement des enfants, et quel que soit l'âge que l'on fixe,
c'est très difficile pour les parents... même s'ils sont, comment dire,
intégrés dans la décision, c'est souvent très difficile pour eux d'empêcher
leurs enfants d'accéder à telle ou telle plateforme, parce qu'il y a une grande
pression sociale, etc.
Donc, le consentement s'obtient assez facilement
en bout de ligne, que ce soit l'adulte ou l'enfant, et, à partir du moment où
on a le consentement, bien, c'est un petit peu... c'est très facile pour les
plateformes de tout récupérer. On a le consentement. On a... On est légitime à
récupérer les données, les informations personnelles. Et donc, même si on peut
avoir quelques limites dans la loi, on a beaucoup de mal à s'assurer du respect
de ces limites, et, de toute façon, même à considérer que les limites
fonctionneraient, on peut récupérer tellement d'informations sur la base du
consentement, à partir du moment où on l'a, ce consentement, on peut faire
tellement de choses que, de toute façon, il n'y a plus de protection du tout. Donc,
c'est une fausse protection, le consentement. On le sait pour les adultes et, a
fortiori, pour les enfants.
Mme Cadet : Oui, et, juste de façon
subsidiaire, pour bien saisir votre propos ici, c'est que, par exemple, donc,
si on veut qu'une telle mesure soit efficace, bien, il faudrait avoir, donc,
une pièce d'identité de l'enfant ou peut-être, donc, du parent pour prouver que
la personne qui se retrouve bel et bien, donc, devant le compte à créer est une personne qui est en âge, selon ce que le législateur,
donc, souhaiterait mettre en place. Je comprends qu'en France c'est 15 ans, dans d'autres, 14 ou 16. Ce que
vous dites, c'est qu'il faudrait, puis je ne veux pas... je ne veux pas vous
mettre des mots dans la bouche, là, mais qu'en fait ça ne changerait pas
grand-chose à, donc, demander, donc, ces cartes d'identité là parce que, de
toute façon, en vertu du consentement qui est acquis, il y a énormément de
données qui sont possédées par les
différentes plateformes, de fournir notre carte... notre pièce d'identité,
c'est un risque de plus, mais pas plus que ce qu'on voit déjà sur les
plateformes.
Mme Castets-Renard (Céline) : Bien,
l'identité, c'est simplement pour attester d'un niveau d'âge, mais ça n'empêche
pas une utilisation massive, une collecte massive des données et une
réutilisation par la suite. Donc, c'est sûr qu'on discute beaucoup, par
exemple, de l'identité numérique pour prouver son âge, justement, pour avoir
une garantie plus forte qu'une simple carte d'identité, par exemple, pour avoir
accès à des sites pornographiques qui sont légaux, mais qui sont légaux à
partir de 18 ans. Donc, oui, c'est sûr qu'on discute de ce genre de
système, mais, bon, je ne sais pas si on va interdire les réseaux sociaux avant
18 ans. Ça me surprendrait beaucoup qu'on en arrive là. Donc, même si on interdisait jusqu'à
15 ans... enfin, si on l'autorisait à partir de 15 ans, bon, je pense
qu'il y a toujours tout un tas de facilités de contournement. J'ai peu
de confiance en ce genre de solution.
Mme Cadet : Dans la même veine, sur
le droit à l'oubli, donc, plus tôt, donc, on entendait des intervenants nous
parler, bien, justement, donc, de la présence, donc, de plusieurs, donc, photos
d'enfants d'âge mineur qui, parfois, ont été
partagées par les parents, mais parfois par eux-mêmes aussi, au cours de ces
années-là. Donc, qu'est-ce que la
littérature dit à ce sujet-là? Et quelle est votre recommandation sur les
mesures que le législateur pourrait prendre sur le droit à l'oubli?
• (16 h 50) •
Mme Castets-Renard (Céline) : Alors,
il y a déjà des dispositions sur le droit à l'oubli dans la loi sur les
renseignements personnels. La difficulté, c'est toujours la mise en oeuvre.
Donc, je pense qu'il faut s'adresser... Pour tout
ce qu'on est en train de discuter, finalement, il faut s'adresser aux
principaux responsables, que sont ces plateformes, et donc les obliger, par exemple, à avoir une
réponse rapide quand on décide... quand on pointe une image qu'on voudrait
voir supprimée, utiliser des moyens de réponse
rapides, et qu'on ne soit pas obligés, par exemple, d'envoyer un courriel
et d'attendre des semaines qu'on nous réponde éventuellement, mais d'avoir
plutôt des formulaires en ligne.
Donc, c'est de plus en plus ce que font ces
plateformes parce que c'est ce que leur a imposé le droit européen, et, comme, évidemment, elles opèrent à
l'échelle internationale, du coup c'est ce qu'on voit arriver, mais je
pense qu'il faut s'arrimer à ce genre de dispositif pour obtenir rapidement une
suppression des données. Et, d'après ce que
j'entends, quand même, quand on voit que ce sont... c'est une photo avec une
personne et que, bon, visiblement, c'est la personne qui demande la
suppression, la suppression est obtenue. Donc, ça fait partie des thèmes sur
lesquels il n'y a pas beaucoup de discussions, sur l'intérêt du public à avoir
accès à cette information-là. Ça ne discute pas vraiment, mais, voilà, il faut
peut-être aussi encourager le public à le faire régulièrement, qu'il y ait un
peu aussi cette habitude-là de gérer son image en ligne. Ça va avec les mesures
d'éducation.
Mme Cadet : Merci beaucoup. Je
reviendrai si on a plus de temps. Merci, professeure.
La
Présidente (Mme Dionne) : Merci, Mme la députée. Je passe maintenant la
parole à Mme la députée de Hull.
Mme Tremblay : Oui, alors, bonjour.
Tu sais, les plateformes, Meta, puis tout ça, là, elles sont très peu enclines
à gérer, à contrôler, parce que, tantôt, vous avez dit... tu sais, le droit de
choisir ce que l'on voit. Est-ce que vous pensez qu'on va être capables
d'arriver... Puis il y a-tu des pays qui l'ont fait à leur... à contrôler,
justement, là, dire : Bien, vous ne
pourrez plus aller dans cette direction-là? Est-ce que vous pensez que c'est
possible? Parce qu'on voit qu'ils sont
plus dans l'autre direction, là, même qu'ils avaient pris des engagements puis
qu'ils les abandonnent. Donc...
Mme
Castets-Renard (Céline) : C'est très difficile, effectivement, d'obtenir
quoi que ce soit de ces plateformes, pour plusieurs raisons. Elles sont
basées aux États-Unis, et donc, quand des législateurs d'ailleurs leur disent
quelque chose, bon, bien, évidemment, elles
se disent : Bon, ce n'est pas trop mon problème. Il y avait... Des gages
de bonne volonté ont été donnés à
l'Europe, mais effectivement on voit qu'il y a des retours en arrière. C'est
vraiment un sujet politique... C'est devenu un sujet politique et
géopolitique, mais je pense quand même qu'il faut continuer à demander des
comptes et espérer avoir un meilleur paramétrage de ces outils, même si on
comprend que l'intérêt économique de ces plateformes est qu'on passe
24 heures sur 24 sur ces plateformes et qu'on utilise 24 heures sur 24 les
outils, c'est sûr que c'est leur intérêt. Donc, il n'y a pas d'intérêt, pour
eux, de mettre en oeuvre des mesures de modération, de prendre une pause.
Puis on voit aussi que, quand on a mis en oeuvre
une captation de l'auditoire, même si, de temps en temps, un message arrive sur
l'écran pour dire : Ah! il est temps de prendre une pause, ou des choses
comme ça, comme on peut le voir parfois, bon, le joueur ou l'utilisateur du
réseau n'a pas du tout envie de quitter parce qu'il est captif, et donc il
ferme la fenêtre, et c'est tout. Donc, c'est très, très difficile, je suis
d'accord avec vous, à la fois parce qu'on n'a
pas trop de prise sur ces acteurs et aussi parce qu'on est de l'ordre de la
psychologie quand on est dans l'addiction, et donc c'est...
Souvent, ça va avec la volonté des personnes qui
veulent être là, qui sont... qui ont l'air d'être contentes d'être là. Et donc
peut-être que, sur ce deuxième aspect, on a plus de marge de manoeuvre parce
que ce sont les mineurs et donc on est un peu plus enclins à décider pour eux,
parce que certainement qu'ils ne se rendent pas compte de tout l'impact que ces
réseaux sociaux ou que ces écrans ont sur leur vie. Donc, peut-être qu'il faut
prendre un certain nombre de mesures, une
pluralité de mesures, et considérer qu'une seule, de toute façon, ne suffira
pas, a fortiori si c'est aller voir les plateformes pour leur demander
d'agir.
Mme Tremblay : Merci. Alors... Puis,
tantôt, vous avez parlé... Bon, l'Alberta songe à légiférer, notamment, puis il
y a toute la notion, là, des images de «deepfakes», justement, là. Comment on
va faire, justement, là, pour ne pas que ces images-là se propagent, qui sont
générées par l'intelligence artificielle, évidemment? Est-ce que c'est en
obligeant peut-être d'écrire automatiquement que c'est ce type d'image là?
Comment on peut s'y prendre? Parce qu'effectivement, là, c'est très inquiétant,
là, puis ça peut causer des dommages chez les jeunes, vous avez nommé les
femmes aussi. Donc...
Mme Castets-Renard (Céline) : Oui,
oui, je suis bien d'accord avec vous sur l'impact pour les personnes. Effectivement, la transparence et le fait de...
l'information, le fait de mentionner que ces images sont générées par l'IA,
c'est un petit pas, mais un pas nécessaire. Et c'est vrai qu'on peut espérer
que, quand les images apparaissent, bon, elles
sont fausses. Que ce soient des personnes publiques ou des personnes non
publiques, c'est quand même important de
se rendre compte que l'image est fausse, pour modérer l'impact sur la
réputation de la personne, même s'il y a quand même un impact. Il ne
faut pas rêver, il ne faut pas imaginer que la seule mention fera qu'il n'y
aura pas d'impact.
Et je
souligne aussi, d'ailleurs, que, finalement, l'impact est plus fort pour les
personnes anonymes, de manière un peu
contradictoire, parce que les publiques... les personnes publiques, les stars
ont des moyens d'automatiser des réponses et de faire en sorte que ces
images-là sont vite oubliées, étouffées par d'autres images. C'est ce qui s'est
fait avec Taylor Swift, alors que Mme
Tout-le-monde qui se retrouve sur les réseaux n'a pas ces moyens techniques de
le faire. Donc, j'insiste bien sur le
fait que ce n'est pas seulement un problème de personnes publiques, ou de
femmes publiques, ou d'hommes et femmes politiques, c'est vraiment un
problème global.
Donc, oui, je
suis d'accord avec l'idée d'informer que l'image a été générée par l'IA, mais
on pourrait peut-être aller plus loin en obligeant, par exemple, les
fournisseurs de ces outils d'IA d'interdire, dans leurs conditions
d'utilisation, que ce soient des modèles d'IA ou des systèmes d'IA...
d'interdire un usage qui porterait atteinte aux droits des personnes, et,
peut-être, évidemment, ça n'empêcherait pas que ce soit fait, mais ce serait
peut-être quand même un moyen d'alerter au moins pour tous ceux qui veulent le
faire juste pour rigoler ou, voilà, juste pour le faire comme ça.
Mme Tremblay : On a encore beaucoup
de chemin à parcourir. Puis vous avez parlé, là, de l'accès au jeu. Puis,
tantôt, il y a un intervenant qui est venu nous dire, là : Bien, les jeux
en ligne, là, ça devrait être complètement interdit, là, avant 14 ans, là, pour
les raisons que vous avez nommées. Donc, est-ce que vous êtes dans cette
direction-là, qu'on devrait, là vraiment, là, s'assurer, là, que, le plus tard
possible, on donne accès au jeu en ligne à nos enfants?
Mme Castets-Renard (Céline) : Oui,
c'est la même chose que les réseaux sociaux, hein? Je pense qu'il y a des
risques tout aussi importants, mais je crois qu'il y en a même plus avec les
jeux vidéo parce qu'il y a des jeux en réseau. Donc,
c'est quand même parfois aussi compliqué de contrôler avec... et de savoir avec
qui les jeunes jouent. Il y a aussi des jeux
d'argent, de plus en plus, où on fait, en fait, acheter des choses. Alors, les
mineurs peuvent peut-être aussi se faire embarquer avec ça.
Et puis, comme je le disais, on personnalise de
plus en plus les histoires. On met de l'IA, évidemment, pour créer les jeux,
mais peut-être aussi, donc, les caractères qui ne sont pas des joueurs, les
PNC, les personnages non... enfin, oui, je
ne sais plus comment on dit, les «players non-characters», voilà, qui ne sont
pas là pour jouer. Je m'y connais très
peu en jeux vidéo, comme vous le voyez. De plus en plus, ces personnages-là
peuvent être en interaction avec les joueurs. Et donc, si on se met à
mettre de l'IA dans ce genre d'interaction, c'est vraiment particulièrement
dangereux en termes de manipulation et puis de continuer à jouer au jeu, etc.
Donc, oui, je pense qu'il y a encore plus de
risques par les jeux parce que peut-être, en plus, que les parents pensent que c'est très inoffensif, plus inoffensif
que les réseaux sociaux parce que c'est un espace fermé, c'est ludique. Voilà,
je pense que les dangers sont peut-être moins connus des parents.
Mme Tremblay : Merci.
Mme Castets-Renard (Céline) : Merci
à vous.
La Présidente (Mme Dionne) : D'autres
interventions? M. le député de Marquette.
M. Ciccone : Merci beaucoup. Merci d'être là, professeure. J'ai quelques
questions, à savoir... D'entrée de jeu, vous avez dit de penser à des moyens
techniques, vous avez parlé... au niveau du contrôle de l'âge, par exemple.
Vous savez aussi dit : Interdire l'intelligence artificielle sur certaines
plateformes, puis vous avez parlé aussi de notre Code civil, là. En tant que législateurs, ici, et je comprends que vous
êtes avocate également en France, là, est-ce que... c'est quoi, nos limites? Quels sont nos pouvoirs
ici en tant que législateurs? Qu'est-ce qu'on peut faire, justement, pour
mettre en oeuvre tout ce que vous nous avez conseillé, là? Est-ce qu'on a le
pouvoir de le faire?
Mme Castets-Renard (Céline) : Oui,
absolument. Je pense que je parle aux bonnes personnes. Moi, très franchement, je ne toucherais peut-être pas à la
Loi sur la protection des renseignements personnels, parce qu'elle vient
d'être adoptée, est en train de se mettre en oeuvre. Donc, moi, je ne
toucherais pas à ça.
Je considérerais le Code civil du Québec, en
effet, la question des images, le droit à l'image, l'image réelle, l'image trafiquée, et peut-être que j'irais
chercher à compléter le Code civil sur ces questions-là. Je considérerais aussi,
bien, une réforme de la loi sur le cadre
juridique des technologies de l'information, qui prévoit vraiment une immunité
de responsabilité pour les intermédiaires techniques. Ce qui était
valable pour les fournisseurs d'accès à Internet en 2000, on n'est plus du tout
là aujourd'hui. Donc, je ne sais pas si c'est le bon véhicule de revoir cette
loi-là ou d'en faire une autre sur la question de la responsabilité des
plateformes, mais je pense qu'il est temps de leur demander de faire un petit
peu plus.
• (17 heures) •
Bon, on sait qu'en Europe il y a le DSA, le
Digital Services Act, qui fait ça, qui a été adopté en 2022. Par contre, il faudra voir la mise en oeuvre, hein,
parce qu'effectivement vous avez soulevé... Plusieurs d'entre vous ont déjà soulevé
la question de l'efficacité de la mise en oeuvre. Bien, c'est sûr que, si on
n'a pas d'outil juridique pour le faire,
c'est encore plus difficile. Donc, je pense quand même qu'il faut aller aller
de l'avant... et aussi le droit de la consommation,
qui peut aider à clarifier comment les données sont utilisées, comment est-ce
qu'on peut limiter certains usages,
comment on peut ne pas avoir accès à certains contenus, et puis aussi s'assurer
que, comment dire, les plateformes s'assurent de l'âge des enfants
aussi.
Donc, on peut... Je jouerais plutôt, voilà, sur
ce type de législation là, et peut-être voir... La question du paramétrage, ça
peut être aussi simplement des cryptogrammes et de faciliter l'information pour
réduire l'accès aux données. Et donc ça va avec la littératie numérique, que je
mentionnais, la formation aussi des utilisateurs.
M. Ciccone : Alors, ce que je comprends, c'est qu'on a déjà la
législation en place qui pourrait nous donner ce pouvoir-là, parce que, vous
savez, quand on amène, par exemple, un nouveau projet de loi, on ne veut pas
que ce soit non plus affaissé par les tribunaux non plus, hein? Ça doit passer
le test des tribunaux, puis on ne veut pas non plus que ça se retrouve là aussi. On veut... parce qu'on a vu certains
pays qui ont avancé. Ils doivent reculer également parce que ça ne
fonctionne pas. On est très, très prudents, mais ce que je constate, c'est
qu'on a tous les éléments en place ici, au Québec, justement, pour appliquer ce
que vous nous avez... ce que vous venez de nous dire. C'est ça, c'est ce que je
comprends?
Mme Castets-Renard (Céline) : Oui.
Et, en plus, du point de vue du partage des compétences, bon, bien, évidemment, le droit de la consommation, le droit
civil, la loi sur le cadre juridique des technologies de l'information, vous
avez déjà ces outils-là en main, et, plutôt que de... Il y a deux autres...
Soit on fait une loi entière avec tout un tas de volets, soit on va toucher
plusieurs instruments juridiques déjà en place pour que ça pointe davantage du
doigt les risques que l'on veut viser ici, et peut-être que cette deuxième
méthode est plus facile et plus digeste à mettre en oeuvre. Peut-être que c'est
cette deuxième méthode qu'il faudrait considérer.
M. Ciccone : Merci beaucoup.
Mme Castets-Renard
(Céline) : Merci à vous.
La Présidente (Mme Dionne) : Merci,
M. le député. Mme la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme Cadet : Merci, Mme la
Présidente. Donc, j'avais dit, professeure, que, si nous avions le temps...
Donc, merci, Mme la Présidente, je constate
que c'est bien le cas. Donc, les questions supplémentaires que j'avais un peu
plus tôt sont un peu dans la lignée que celles que viennent... que vient de
poser mon collègue de Marquette sur l'encadrement juridique. C'est
surtout, en fait, donc, des plateformes.
Donc, on a beaucoup entendu, aujourd'hui, des
intervenants, donc, nous parler, donc, de sensibilisation des parents et
ensuite de politiques publiques pouvant être menées par l'État québécois, mais
manifestement, donc, il y a aussi une question, donc, de responsabilité de ces
plateformes-là, soit du fabricant. Je vous écoutais, j'avais aussi un petit peu
cette réflexion-là au niveau de la protection du consommateur, par exemple, à
la façon dont les jeux en ligne, donc, sont
conceptualisés, qui est peut-être une question du... de la responsabilité du
fabricant qui peuvent être... qui peut être mise en oeuvre de ce
côté-là.
Puis, peut-être, je ne sais pas si c'est une
question... je sais que vous faites du droit comparé, de nous faire part de ce qui se voit ailleurs à cet égard-là, de
mesures qui fonctionnent au niveau de l'encadrement des plateformes. Et
là, bon, vous avez parlé, donc, des tactiques de «gamification», donc, sur les
jeux vidéo et les jeux en ligne qui peuvent parfois être même plus délétères
que les réseaux sociaux. On pense, sur ces réseaux mêmes, au défilement sans
fin, aux algorithmes, la confidentialité des comptes des mineurs. C'est
difficile pour nous de nous fier à la seule volonté des plateformes. On a vu
Meta, avant les fêtes, donc, mettre en oeuvre, donc, certaines dispositions,
mais, du jour au lendemain, ces
dispositions-là, donc, peuvent prendre fin, comme la... comme ça a été le cas
avec la vérification des faits pas plus tard qu'il y a deux semaines.
Donc,
j'aimerais vous entendre là-dessus, sur comment cet encadrement-là peut être
fait, ce qui se fait ailleurs, qui fonctionne, que vous nous
recommandez.
Mme Castets-Renard (Céline) : Ce
qui fonctionne, en tout cas, ce qui a été adopté, c'est ce que j'évoquais tout
à l'heure, en Europe, le règlement européen sur les services numériques, hein,
le Digital Services Act, qui a vraiment... qui a repris, en fait, la directive
commerce électronique de 2000, qui a inspiré la loi pour le cadre juridique des
technologies d'information. Donc, c'est... Il y a, comment dire, une parenté
entre la loi québécoise et la directive
commerce électronique de 2000. Là, les deux ont été adoptées à peu près en même
temps. Et donc le règlement de 2022 sur les services numériques réforme
les aspects du... de la directive commerce électronique, qui portait sur la
responsabilité des intermédiaires techniques.
Alors, on ne remet pas en cause le principe de
non-responsabilité dès lors que les... ces intermédiaires techniques ne
connaissent pas le contenu illicite qui est en ligne, mais par contre, à partir
du moment où il y a une logique de
notification, d'avertissement, les contenus doivent être... doivent être
enlevés. Donc, ça, c'est pour l'aspect de ce que l'on peut voir en
ligne.
Mais là le problème est un peu différent, parce
que ce n'est pas tant que le contenu serait illicite, c'est la... c'est l'addiction
que l'on veut plutôt viser. Donc là, malheureusement, pour l'instant, dans la
directive services numériques, il n'y a pas de dispositions spécifiques. Bien,
il y a quelques dispositions, s'agissant des mineurs, enfin s'agissant de
l'utilisation des services, mais on n'a pas un arsenal suffisant et complet.
Donc, je n'ai pas d'exemple très précis à vous donner de ce point de vue là.
Et en plus, évidemment, il y a la question de
l'effectivité que vous soulevez. Et je pense que ça va être assez intéressant de voir ce que devient Meta, enfin, ce
que fait Meta par rapport au «fact checking», enfin, à la vérification
des faits en Europe, parce que c'est ce qui a été annoncé pour les États-Unis,
et on va voir l'impact sur l'Europe. Mais,
en tout cas, c'est pris très au sérieux, évidemment, par le législateur
européen, parce qu'on se rend forcément compte que ça aura un impact sur la... les obligations de modération des
contenus qui existent dans ce texte et qui probablement ne seront pas respectées. Donc, on va voir... Des
sanctions importantes sont prévues. Donc, on va voir si la Commission européenne est capable, finalement, de faire respecter son
texte et si on est capables d'aller vérifier ce que font ces plateformes
et de leur imposer des sanctions financières élevées, comme on est censés le
faire, en fait, en application de ce texte. Tout le monde attend, en fait, de
voir ce que ça va donner.
Pour l'instant, voilà, le texte date de 2022. La
mise en... L'entrée en vigueur a été progressive, donc est vraiment récente,
mais c'est vrai que c'est... Les capacités d'action vont être très importantes
pour le reste du monde, très honnêtement,
parce que c'est quand même des textes très volontaires, avec des fortes
sanctions, avec des obligations quand même plus importantes que ce qu'on
peut voir ailleurs la plupart du temps. Et donc, si on n'est pas capables de
les faire respecter, c'est sûr que ça n'envoie pas un signal très positif pour
les autres législateurs.
Mais c'est... C'est important, évidemment, l'efficacité,
la capacité de faire respecter ces textes, mais je pense que ça ne doit pas
empêcher de prendre des textes. Évidemment, il faut le faire intelligemment et
voir comment le mettre en oeuvre, déterminer aussi des règles de gouvernance
des autorités qui soient... qu'il y ait des moyens d'aller vérifier des choses, ça, c'est sûr, donc il faut
des capacités, mais, pour autant, il faut quand même... enfin, je pense quand
même qu'il faut essayer de légiférer malgré tout, malgré les difficultés.
Mme Cadet : Merci. Puis je peux
compléter?
La Présidente (Mme Dionne) : Allez-y.
Mme
Cadet : Merci, Mme la Présidente. Parce qu'en fait vous me faites
penser... parce qu'on a énormément parlé de
la responsabilité, donc, des plateformes et de la capacité de les encadrer, et
effectivement, donc, on va continuer d'observer ce qui se passe de
l'autre côté. Et merci de nous dire que ça ne devrait pas nous empêcher de
légiférer d'une autre... malgré, donc, les défis au niveau de l'efficacité de ce
qui... de ce qui se développe au compte-gouttes.
Vous avez parlé du
principe de non-responsabilité des tiers techniques. J'aimerais peut-être que
vous élaboriez sur ce sujet-là, parce que
c'est vrai qu'on a beaucoup concentré nos possibilités d'action vers les
plateformes elles-mêmes, en dissociant complètement, donc, le rôle que
pourraient jouer les tiers techniques. Donc, j'aimerais vous entendre sur ce
qui pourrait potentiellement être fait à cet égard aussi.
Mme Castets-Renard (Céline) : Donc,
effectivement, les textes des années 2000, hein, visaient les fournisseurs
d'accès à Internet, et les hébergeurs, donc, qui, à l'époque, étaient
simplement des intermédiaires techniques, donnaient des espaces pour
mettre du contenu en ligne. Et tout a changé, évidemment, à partir du moment où
les utilisateurs ont commencé à mettre du contenu en ligne. Et finalement c'est
question de responsabilité. Donc, il y a... c'est un principe
d'irresponsabilité tant que... bien, tant qu'on ne sait pas qu'il y a un contenu
illicite.
Donc,
effectivement, donner la capacité aux utilisateurs de mettre du contenu a
généré la création de beaucoup de contenus illicites, mais on ne voulait pas,
évidemment, empêcher le développement d'Internet et tout le potentiel
qui allait avec ça. Et donc, voilà, ces
règles d'irresponsabilité vont avec un principe de notification et un principe
d'ignorance. Donc, ils ne sont pas responsables tant qu'ils ne savent
pas, mais, à partir du moment où on notifie et qu'ils savent, ils doivent agir.
Donc là, il y a quand même une certaine action, une certaine responsabilité qui
est mise en oeuvre.
Et, en s'appuyant sur
cette logique-là, on pourrait aller plus loin et intégrer non pas simplement un
contenu illicite, mais considérer que des pratiques... rendre illicite
certaines pratiques, comme vous l'avez mentionné, les flux continus, la captation permanente, enfin, repérer
les... c'est déjà très analysé, hein, il y a déjà beaucoup d'études pour
repérer les comportements addictogènes, les pratiques addictogènes, et
donc de les interdire et d'obliger ces plateformes, finalement, à respecter ces
mesures, tout comme on dit : Bien, vous êtes responsables du contenu
illicite à partir du moment où vous la
signalez. Donc, à partir du moment où on vous dit de ne pas avoir telle ou
telle pratique, vous êtes responsables, c'est encore plus facile à
faire, je dirais, parce que ces comportements, ces pratiques sont directement
le fait des plateformes elles-mêmes, alors que c'était plus difficile de les
rendre responsables de contenus des tiers, produits par des tiers. Là, ces
plateformes sont désormais largement responsables de ce qui... de ce qui
nous... de ce qui s'y passe, en fait.
• (17 h 10) •
Et, la question de
l'opacité algorithmique, je ne sais pas si c'est un bon... une bonne porte
d'entrée, très franchement, parce qu'ils vont toujours défendre... se défendre
en parlant du secret des affaires, de la complexité, de l'évolution permanente des algorithmes. Donc, ça, je pense que ce n'est
pas forcément le bon... la bonne porte d'entrée pour s'attaquer à ces
sujets. Mais, en revanche, de voir par quelles pratiques, finalement, le public
reste captif et contrôler ces pratiques, voire les interdire, c'est
certainement plus facile, plus tangible. C'est plus facile à voir aussi et donc
à sanctionner en cas de violation de ce type de mesures.
Donc,
moi, je serais plutôt partisane de regarder ces aspects-là plutôt que de rendre
compte sur les algorithmes, etc. Bon, ce n'est pas tellement le sujet.
Il faut voir plutôt, voilà, ce qui fait que les jeunes restent captifs sur les
plateformes.
Mme Cadet : Et
plus... Vous êtes plus partisane, donc, de les garder au niveau de la
responsabilité des plateformes directement et non pas subsidiairement du côté
des tiers techniques.
Mme Castets-Renard
(Céline) : Bien, en fait, la question des tiers techniques, c'étaient
les fournisseurs d'accès et les hébergeurs, c'étaient ces... Bon, ce n'est pas
le sujet, là. Aujourd'hui, c'est vraiment... ce ne sont plus des... ce ne sont
pas des fournisseurs d'accès.
Mme Cadet :
Non, mais c'est ça, là.
Mme Castets-Renard
(Céline) : Ils ne sont plus de simples hébergeurs. Mais, en fait...
non, mais c'est notre vocabulaire de départ, donc je pense que vous avez raison
d'y revenir. C'était le vocabulaire de départ. Et, entre 2000 et 2022, en
Europe, on a utilisé la notion d'hébergeur pour essayer de capter les
plateformes, parce qu'on n'avait rien d'autre, et pour essayer de les rendre
responsables malgré tout. Voilà. Mais bon, évidemment, on voit que c'est le
point où on en est... où en est le Québec aujourd'hui. Ce vocabulaire-là et les
pratiques qui sont visées dans la loi n'ont plus rien à voir avec...
Mme Cadet : Sont
désuètes, en fait.
Mme Castets-Renard
(Céline) : ...avec les plateformes d'aujourd'hui. Voilà. C'est ça.
Donc, on ne capte pas du tout ces activités des plateformes, et c'est encore
moins les problèmes avec les mineurs, en considérant les règles sur les
responsables techniques. Voilà.
Mme Cadet : Merci
beaucoup, professeure.
Mme Castets-Renard (Céline) : Je
vous en prie. Avec plaisir.
La
Présidente (Mme Dionne) : Merci infiniment, Mme Castets-Renard, pour
vos interventions à cette commission.
Donc, s'il n'y a pas d'autre question, d'autre
intervention, je suspends... j'ajourne, pardon, les travaux jusqu'à demain,
9 h 30. Donc, bonne fin de journée à tous, et merci encore,
Mme Castets-Renard.
Mme Castets-Renard (Céline) : Merci
beaucoup à toutes et tous. Merci, messieurs, mesdames.
(Fin de la séance à 17 h 14)